Mode de scrutin PLM, A69, loi Duplomb... : entre stratégie et conciliation, les CMP au cœur du jeu parlementaire

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Assemblée et Sénat
Les bâtiments de l'Assemblée nationale et du Sénat (© Flickr - Jimmy Baikovicius / Wikimedia)
par Anne-Charlotte Dusseaulx, le Mardi 24 juin 2025 à 07:05, mis à jour le Mardi 24 juin 2025 à 10:15

Ces jours-ci, les commissions mixtes paritaires sur des textes controversés vont se succéder au Parlement. Députés et sénateurs vont successivement tenter de se mettre d'accord sur la loi sur la réforme du mode de scrutin municipal à Paris (sans succès), Lyon, et Marseille, sur l'avenir du chantier de l'autoroute A69 et sur la loi agricole Duplomb. Instance de conciliation souvent utilisée, mais longtemps méconnue, la CMP est devenue plus stratégique que jamais dans la configuration politique actuelle. 

Retenez ce sigle : "CMP" pour "commission mixte paritaire". Car vous risquez de beaucoup l'entendre cette semaine. En effet, pas moins de trois réunions décisives de cette instance de conciliation sur des textes clivant et controversés vont se tenir ces jours-ci au Parlement. Cela commence dès ce mardi 24 juin avec la réforme du mode scrutin municipal à Paris, Lyon, et Marseille. Les sept députés et sept sénateurs, qui seront réunis à huis clos à partir de 9h30 au Palais du Luxembourg, trouveront-ils un compromis à soumettre aux deux Chambres ? Rien n'est moins sûr. Si la proposition de loi du député de Paris Sylvain Maillard (Ensemble pour la République) avait été adoptée à l'Assemblée nationale en avril, elle avait été massivement rejetée au Sénat en juin.

MAJ mardi 24 juin à 10 heures : la CMP n'est pas conclusive, aucun accord n'a été trouvé (lire encadré ci-dessous)

Sur le papier, et en se basant sur les votes en hémicycle des quatorze parlementaires présents dans cette commission mixte paritaire (la composition est là), les opposants au texte semblent avoir un léger avantage, mais l'issue s'annonce serrée :

  • 5 élus avaient voté pour en séance (les députés Franck Allisio du Rassemblement national, Florent Boudié d'Ensemble pour la République, Bastien Lachaud de La France insoumise, Jean-Paul Matteï des Démocrates et la sénatrice Isabelle Florennes de l'Union centriste). 
  • 2 étaient absents lors du scrutin, mais appartiennent à des groupes qui penchent pour la réforme (le député Eric Salmon du Rassemblement national et le député Ian Boucard de la Droite républicaine).
  • 6 s'étaient prononcés contre (le député Stéphane Delautrette du groupe Socialistes, les sénatrices Catherine Di Folco, Lauriane Josende des Républicains, Muriel Jourda des Républicains, ainsi que les sénateurs Pierre-Alain Roiron et Audrey Linkenheld du groupe Socialiste). Mais selon nos informations, alors que ce texte brouille les clivages habituels, les parlementaires socialistes devaient arrêter leur position lors d'une réunion prévue lundi 23 juin en fin de journée.
  • 1 s'était abstenu (le sénateur Marc Laménie du groupe Les Indépendants et membre d'Horizons). Si, dans l'hémicycle du Sénat, ce dernier avait évoqué une "réforme pas seulement souhaitable", mais "nécessaire", il avait toutefois pointé les "lacunes" du texte examiné et déploré le calendrier à moins d'un an des élections municipales.

Après la réforme Paris-Lyon-Marseille, suivront la CMP sur l'autoroute A69 entre Castres et Toulouse, qui aura lieu mercredi 25 juin à l'Assemblée nationale à partir de 17 heures (le siège tournant que se partagent à tour de rôle trois groupes parlementaires sera occupé par le député Nicolas Bonnet (Ecologiste et social), puis la CMP sur la proposition de loi visant à "lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur", dite "loi Duplomb", le lundi 30 juin (avec le siège tournant dévolu aux Démocrates, qui sera occupé par le président du groupe Marc Fesneau). 

A noter que sur ces trois CMP, et malgré le fameux siège tournant, deux places de titulaires reviennent aux Démocrates, émanation à l'Assemblée du MoDem le parti de François Bayrou, une place aux écologistes, et aucune à Horizons. La raison ? "Nous leur avons cédé notre place sur PLM", car le député Jean-Paul Matteï était rapporteur du texte sur la réforme du mode de scrutin, explique-t-on au sein du groupe Horizons. Même écho du côté du groupe Les Démocrates, également sollicitée par LCP : "Duplomb, c'est le tourniquet. Et PLM, Horizons nous l'a rétrocédée en échange de [celle sur] la proposition de loi professions de santé pour Frédéric Valletoux", dont les conclusions viennent d'être adoptées par les deux Chambres du Parlement.

Des CMP toujours plus stratégiques mais pas plus nombreuses

Véritable outils institutionnels, les commissions mixtes paritaires ont toujours existé. Et il n'y en a pas davantage sous cette législature que sous les précédentes. Actuellement, selon le site de l'Assemblée nationale, 14 sont "en cours" et 14 sont déclarées "closes". Ce qui fait 28 CMP en onze mois, depuis le début de la 17e législature en juillet dernier. Il y en avait eu 73 sous la 16e législature (entre 2022 et 2024), soit un peu plus de 36 par an. C'était 163 sous la 15e législature (entre 2017 et 2022) et 157 sous la 14e législature (entre 2012 et 2017). Sans surprise, l'une des différences émane de l'origine des textes : si sur les 28 CMP de cette année, on retrouve 20 propositions de loi - issu du Parlement - et seulement 8 projets de loi, venant du gouvernement. Sous les législatures précédentes, le ratio était inversé.

Mais davantage que leur nombre, c'est surtout la manière dont les textes y arrivent qui fait débat depuis quelques semaines. Le 26 mai, la proposition de loi visant à "lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur" était directement envoyée en commission mixte paritaire par le vote d'une motion de rejet déposée à l'Assemblée nationale par les défenseurs du texte pour contrer "l'obstruction parlementaire" des députés écologistes et insoumis. Une semaine plus tard, le 2 juin, c'était cette fois, une motion de rejet déposée par La France insoumise sur la proposition de loi de "validation" de l'autoroute A69 qui était adoptée avec les voix du socle gouvernemental. Résultat, ces textes qui avaient déjà été débattus et votés au Sénat ne l'ont pas été à l'Assemblée.

"Encore et toujours, c'est sur les sujets environnementaux qu'on préfère légiférer dans le huis clos de Chambres fermées, parce que les paroles pro-lobbys sont peut-être plus faciles à tenir", fustige la députée Léa Balage El Mariky (Ecologiste et social) auprès de LCP. "Ce qui est dommage, c'est qu'on trouve des espaces de négociation en dehors de la transparence du débat en hémicycle", ajoute-t-elle, notant que ces commissions mixtes paritaires se font "sur des textes qui font l'objet d'une procédure accélérée" (une seule lecture par Chambre). 

A gauche, bon nombre d'élus dénoncent la dimension stratégique prise par cet outil dans alors qu'il n'y a pas de majorité au Palais-Bourbon. Mathilde Panot (La France insoumise) critique une "méthode anti-démocratique utilisée pour piétiner l'Assemblée nationale". Pour Boris Vallaud (Socialistes), un "petit conclave de quelques députés" est ainsi préféré à un "débat démocratique transparent, sous les yeux des Français".

Un avantage pour le gouvernement dans la configuration politique actuelle 

Au sein du bloc présidentiel, beaucoup regrettent, à l'image du président du groupe Les Démocrates, Marc Fesneau, que dans cette Assemblée nationale bloquée, "tous les objets de régulation démocratique prévus par la Constitution (...) sont dévoyés". Parmi eux : la commission mixte paritaire qui, aujourd'hui, "pallie l'incapacité de l'Assemblée à débattre, alors qu'elle devrait rester un lieu pour créer du consensus avec le Sénat", déclarait l'ancien ministre dans L'Opinion début juin. Croisé salle des Quatre-Colonnes, le président de la commission des affaires sociales, Frédéric Valletoux (Horizons), rappelle cependant qu'en commission mixte paritaire, "on met aux voix comme on le fait en commission ou dans l'hémicycle", même si "on ne peut pas suivre les débats" qui font néanmoins l'objet d'un compte rendu écrit. 

Reste que dans ce huis clos, la majorité est plus facile à trouver. "Dans une Assemblée qui n'a pas de majorité, le bloc central peut, en CMP, avoir une majorité grâce au Sénat", analyse Frédéric Valletoux, puisque les Républicains dominent la Chambre haute. Avec le siège tournant (que se répartissent à tour de rôle les groupes Les Démocrates, Ecologiste et social, et Horizons parmi les sept sièges réservés aux députés), le socle gouvernemental peut en effet espérer compter sur une majorité deux fois sur trois (avec huit membres, contre six pour les oppositions). "La gestion du calendrier des CMP est un peu nouvelle", ajoute l'élu.

Selon l'article 45 de la Constitution, si un accord est trouvé en commission mixte paritaire, le texte élaboré est "soumis par le gouvernement pour approbation aux deux Assemblées". Au contraire, si la CMP n'est pas conclusive, une nouvelle lecture débute dans chacune des Chambres. "En ce cas, l'Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat", peut-on lire.

A la rentrée, une commission mixte paritaire sera encore une fois suivie avec attention. Celle qui aura lieu sur le projet de loi de simplification de la vie économique, voté le 17 juin à l'Assemblée nationale, avec la question, polémique là encore, de la suppression des Zones à faible émission (ZFE).

Echec de la CMP sur la réforme du mode de scrutin PLM

Moins de 30 minutes après le début de la réunion de la commission mixte paritaire sur la réforme du mode de scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille, ce mardi 24 juin, le verdict tombait. Aucun accord n'était trouvé entre les sept députés et sept sénateurs présents, selon plusieurs participants. 

Ce désaccord entre l'Assemblée nationale - favorable à la réforme - et le Sénat - opposé au texte - est un nouveau contretemps pour le Premier ministre, François Bayrou, qui va désormais devoir décider si - après une nouvelle lecture dans chacune des Chambres du Parlement - il donne le dernier mot aux députés, au risque de tendre les relations avec ses alliés Les Républicains du Sénat, à environ neuf mois des municipales de 2026.