Adopté à l'unanimité la semaine dernière, le rapport de la commission d'enquête sur "les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance" a été dévoilé lors d'une conférence de presse, ce mardi 8 avril. Son auteure, Isabelle Santiago (Socialistes), estime que "la responsabilité de l’Etat est engagée", et formule 92 recommandations afin de remédier à la situation d'"urgence absolue" de l'aide sociale à l'enfance (ASE) dont dépendent 400 000 enfants et jeunes majeurs.
"Notre République a failli à protéger les plus vulnérables". Tel est l'implacable constat tiré par Isabelle Santiago (Socialistes), rapporteure de la commission d'enquête sur "les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance". A l'issue des "83 heures d'auditions" et des "8 déplacements" menés avec la présidente de l'instance, Laure Miller (Ensemble pour la République), la députée espère que son rapport fera l'effet d'un "électrochoc" à l'endroit de la société et de la puissance publique, afin de remédier à la situation d'urgence de l'aide sociale à l'enfance (ASE) dont dépendent près de 400 000 enfants et jeunes majeurs, qui s'en trouvent bien souvent marqués à vie. Le rapport souligne notamment que les enfants de l'ASE ont, en moyenne, une espérance de vie inférieure de 20 ans à celle observée en population générale.
Isabelle Santiago appelle dans un premier temps à ce que les mesures déjà prises par le législateur soient appliquées, notamment en matière de taux et de normes d'encadrement dans les structures d'accueil collectives, et d'interdiction d'hébergement à l'hôtel. Elle appelle donc à la publication immédiate des décrets liés à la loi du 7 février 2022, relative à la protection des enfants, dite "loi Taquet".
Estimant que les pouponnières représentent à elles seules le symptôme d'une politique à la dérive, le rapport incite à aller plus loin en marginalisant progressivement le recours à ces structures d'accueil pour les enfants de 0 à 3 ans. Il s'agirait ainsi, "à l’horizon 2030", de "généraliser les accueils de type familial" pour les touts-petits, et de "n’autoriser leur placement en accueil collectif qu’à titre exceptionnel".
Pour l'heure, le rapport préconise que les taux d’encadrement dans ces pouponnières s’approchent d'"un adulte pour trois enfants le jour", d'"un pour cinq la nuit", et d'interdire les accueils en sureffectif. Lors d'un échange avec LCP, Isabelle Santiago avait déploré, dans certaines de ces structures, des ratios actuels de l'ordre d'un encadrant pour trente bébés lors des gardes de nuit.
Le rapport incite également à faciliter les procédures d’adoption, en particulier pour les enfants de 0 à 5 ans. Car, selon la députée socialiste, l'accueil en foyer collectif, qui s'avère être la norme en protection de l'enfance, n'est absolument pas adapté à "des enfants qui vont très mal, qui ne peuvent pas grandir correctement". Elle préconise aussi de "permettre le remboursement sans conditions des consultations de psychologues, psychomotriciens et ergothérapeutes de ville (...) sans limite d’un nombre prédéfini de consultations annuelles". La rapporteure souhaite, par ailleurs, instaurer une formation spécialisée pour les professionnels de la protection de l’enfance.
Face à "l'impensé historique" auquel l'enfance fait face de la part de l’État, Isabelle Santiago propose de "créer un code de l’enfance, comportant un chapitre spécifiquement consacré à la protection de l’enfance", ainsi qu'un "manuel de référence".
La députée du Val-de-Marne souhaite également qu'un ministre de plein exercice chargé de l’enfance puisse être nommé, et "lui adjoindre le concours d’un conseil scientifique". Dans cette logique de priorisation gouvernementale, le rapport préconise, en outre, la création d'"un comité de pilotage composé de représentants de l’Etat, des départements et des associations", qui participerait à "relancer immédiatement une stratégie interministérielle de protection de l’enfance et d’en assurer le suivi et l’évaluation".
La protection de l’enfance est traversée par une crise profonde de son écosystème, hier à bout de souffle, aujourd’hui dans le gouffre, révélatrice de l’impensé de cette politique. Rapport de la commission d'enquête
Estimant que les enfants sont de fait livrés à eux-mêmes à défaut d'une réelle prise en charge et d'un contrôle suffisant des structures qui les accueillent, Isabelle Santiago considère également nécessaire d'augmenter la fréquence de ces procédures de contrôle, diligentées par les départements et les préfectures, à raison d’au moins une inspection planifiée, ou inopinée, tous les deux ans. De même, et afin d'"en finir avec l’opacité", elle souhaite instaurer un droit de visite parlementaire pour les structures de l’aide sociale à l'enfance, à l'image de ce qui est déjà en vigueur pour les lieux de privation de liberté.
Le rapport préconise aussi de créer une autorité de contrôle indépendante de la protection de l’enfance intégrant des représentants des enfants placés, et pouvant faire l’objet d’une saisine par les enfants eux-mêmes.
Face au manque de moyens endémique auquel se heurte la protection de l'enfance, la rapporteure plaide pour la mise en place d'une "loi de programmation pluriannuelle quinquennale", assortie d'un fonds pluriannuel, afin de planifier efficacement l’allocation des moyens financiers au vu des besoins réels en matière de protection de l’enfance.
Par ailleurs, Isabelle Santiago souhaite que "la responsabilité de l’Etat et sa passivité face à l’institutionnalisation d’un système de négligence publique" soit reconnue, et que soit créée en conséquence "une commission de réparation" pour les enfants de l’ASE ayant subi des maltraitances, à l'origine de nombreux psycho-traumas.
Le rapport sera remis demain à la ministre du travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin. Charge au gouvernement désormais, de mettre en œuvre tout ou partie de ses préconisations, approuvées à l'unanimité par les députés de la commission d'enquête. "Il ne s'agit plus seulement de constater, mais d'agir vite", prévient Isabelle Santiago.