Plus de deux mois après avoir été interrompu, l'examen de la réforme de l'audiovisuel public a repris, mardi 17 juin, au sein de la commission des affaires culturelles et de l'éducation à l'Assemblée nationale. Si chaque camp réaffirme ses positions, les discussions se sont déroulées dans de meilleures conditions qu'en avril quand un incident entre la ministre Rachida Dati, qui défend ce texte controversé, et une administratrice avait conduit à plusieurs suspensions de séance.
"Alors on en est où exactement ?", s'est interrogée à l'ouverture des débats, la présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, Fatiha Keloua Hachi (Socialistes). Il faut dire que l'examen de la proposition de loi sur "la réforme de l’audiovisuel public et la souveraineté audiovisuelle", qui a repris mardi 17 juin, avait été interrompu début avril. "Nous reprenons donc où nous nous en étions arrêtés", soit à l'article 2, a poursuivi l'élue, aux côtés des co-rapporteurs Jérémie Patrier-Leitus (Horizons), Virginie Duby-Muller (apperentée Droite républicaine) et de la ministre de la Culture, Rachida Dati. L'article 1 - qui crée une holding baptisée "France Médias", regroupant France Télévisions, Radio France et l'Institut national de l’audiovisuel (INA) - ayant déjà été voté.
Alors qu'un incident avait eu lieu entre la ministre et une administratrice de l'Assemblée nationale, les discussions se sont cette fois déroulées dans une ambiance plus apaisée. La présidente a d'ailleurs appelé les députés à "éviter les invectives et les propos qui pourraient être mal pris, de façon à ce qu'il n'y ait pas de difficultés à gérer la commission". Dans la foulée, chacun a sans surprise commencé par réaffirmer sa position sur ce texte. "Nous ne comprenons pas quel est l'intérêt" de cette réforme, a déclaré Alexis Corbière (Ecologiste et social), tout en lançant à l'adresse de la ministre : "C'est avec beaucoup de plaisir qu'on vous retrouve." Avant d'ajouter : "Vos arguments ne nous ont pas convaincus. Tout ça reste flou".
"J'entends les inquiétudes, elles sont légitimes", a répondu Rachida Dati. "L'indépendance des médias et la liberté de la presse sont capitales dans une démocratie", a-t-elle ajouté, affirmant que cette réforme a pour objectif de "rassembler les moyens et avoir une stratégie cohérente et coordonnée". "On ne peut pas se satisfaire de la situation actuelle", a renchéri le rapporteur Jérémie Patrier-Leitus (voir vidéo en tête d'article).
Dénonçant les "mensonges insultants" de la ministre à l'encontre des journalistes du service public, Emmanuel Grégoire (Socialistes) a, quant à lui, critiqué une réforme qui "n'a pas pour but de répondre [aux] enjeux stratégiques", mais de "faire des économies budgétaires (...) et d'exercer un contrôle politique sur la ligne éditoriale de l'audiovisuel public".
L'article 2, qui indique que l'Etat détient la totalité du capital de la société "France Médias", a été légèrement modifié, puis adopté. Deux amendements ont été votés. L'un, défendu par le député Erwan Balanant (Les Démocrates), précisant que "ce capital est incessible", afin de "garantir la stabilisation du capital de cette société nouvelle". L'autre venant du gouvernement qui supprime l'alinéa 4 et "la possibilité de désignation de commissaires du gouvernement dans les sociétés de l’audiovisuel public".
Dans la foulée, les députés ont longuement débattu de l'article 3 du texte - qui a aussi été adopté - sur la composition des différents conseils d'administration. Plusieurs amendements de réécriture globale du gouvernement ont été votés (ici, là ou encore là). Egalement voté en commission, contre l'avis du gouvernement cette fois, un amendement des rapporteurs sur la présence d'un "journaliste professionnel" parmi les "deux représentants des salariés" siégeant au conseil d'administration.
Adoptés aussi, deux amendements (le premier et le second) de Céline Calvez (Ensemble pour la République). Le second visant à ce que la nomination du PDG de "France Médias" ne soit effective "qu'après l'avis conforme des commissions des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat à la majorité des voix exprimées".
En revanche, aucun amendement issu des rangs de la gauche n'a "été pris en compte", a regretté Sophie Taillé-Polian (Ecologiste et Social). "Ni pour permettre à des journalistes d'être présents en tant que tels dans le conseil d'administration, ni davantage de salariés, ni les directeurs-généraux des différentes entreprises, et la liste est longue", a résumé la députée, alors même que ces propositions "auraient pu diminuer un petit peu notre inquiétude".
Au cours des débats, la discussion sur un amendement de Philippe Ballard (Rassemblement national) a provoqué un vif échange entre Rachida Dati et les députés de gauche présents, autour des questions "d'ingérence" politique. "Ingérence, ingérence, vous vous gargarisez de mots !", a critiqué la ministre, pour qui "être de gauche, ce n'est pas forcément être quelqu'un de bien". "Celui qui n'est pas de votre couleur politique ou de votre idéologie, c'est des gens pas bien, il faut qu'on se laisse marcher dessus, non, (...) nous ne sommes pas les serpillères des gens de la gauche !", a lancé Rachida Dati.
Interpellant à plusieurs reprises la ministre sur des propos rapportés par la presse, notamment sur le fait qu'elle aurait demandé le "scalp" de la patronne de France Télévisions, Delphine Ernotte, Emmanuel Grégoire (Socialistes) a également eu droit à une réponse courroucée : "Je ne réponds pas aux rumeurs et aux ragots, ça devient insupportable. (...) Mais vous adorez colporter les rumeurs et les ragots. Ce n'est pas le genre de la maison."
Dans la soirée, les députés ont poursuivi l'examen du texte et adopté les articles 5, 6, 7, 8 et 9 de la réforme. Des amendements visant à recréer une redevance audiovisuelle ont été rejetés. La présence de l'INA dans cette holding a également occupée une partie des échanges nocturnes. "On se demande ce que ça vient faire là-dedans. C'est juste parce qu'il y a écrit audiovisuel ?", a questionné Alexis Corbière (Ecologiste et social). L'INA est "un pilier essentiel notamment pour l'audiovisuel public, en termes d'archivage. On ne va pas laisser cette société à l'extérieur tout seule", a expliqué Rachida Dati, qui a aussi rappelé que "lors des auditions, ils étaient tout à fait favorable à être intégrés dans le périmètre de la holding".
La ministre a profité de cette prise de parole pour répondre à Emmanuel Grégoire (Sociailistes) sur le calendrier de la nomination à venir du patron de "France Médias", dont la date de création est fixée au 1er janvier 2026. "En plein pendant une année de campagne présidentielle. On devrait avoir la sagesse de surseoir et d'engager la transformation après", a réagi Aurélien Saintoul (La France insoumise), en défendant un amendement pour décaler l'échéance à 2028. Sans succès.
Les députés reprendront l'examen du texte en commission ce mercredi matin. Il reste 265 amendements à étudier.