Les députés de la commission des affaires culturelles ont interrompu leurs travaux sur la réforme de l'audiovisuel public, mardi 8 avril à minuit, alors que quelque 1 538 amendements restaient à examiner. Une interruption en raison des délais prévus pour le dépôt et le traitement des amendements en vue de son examen dans l'hémicycle, prévu à partir de vendredi, mais qui paraît plus que compromis, d'autres textes qui suscitent de longs débats étant inscrits avant à l'ordre du jour.
Après plusieurs jours d'incertitude, provoquée par un incident impliquant la ministre de la Culture, Rachida Dati, et une fonctionnaire de l'Assemblée nationale, l'examen de la proposition de loi relative à "la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle" a repris dans la sérénité en commission des affaires culturelles, mardi 8 avril. Sans que les députés ne parviennent au bout de l'examen du texte, et pour cause : pas loin de 1 700 amendements restaient en discussion lorsque les élus ont commencé à se pencher sur le texte, autour de 16h30.
La fin des travaux en commission ayant été fixée le jour-même à minuit, l'hypothèse d'aboutir à un vote sur l'ensemble de la réforme relevait de la gageure. Cette fenêtre de tir très restreinte s'explique par l'inscription de la proposition de loi à l'ordre du jour de l'hémicycle, à partir de ce vendredi 10 avril, et la nécessité de laisser suffisamment de temps pour le dépôt et le traitement des amendements en vue de la séance. Sans, pour autant, que la perspective de voir la réforme de l'audiovisuel public effectivement débattue dans l'hémicycle cette semaine ne soit certaine, bien au contraire, en raison d'un embouteillage de textes. Après le débat sur la réforme du mode de scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille, les députés devront en effet étudier le projet de loi de "simplification de la vie économique", sur lequel de nombreux amendements ont été déposés. Ce qui, de sources parlementaires, rend impossible en l'état de l'ordre du jour, l'examen du texte défendu par la ministre de la Culture d'ici à la fin de la semaine.
"Il est assez peu probable que le texte revienne en séance", a prophétisé dans la matinée le président du groupe "Gauche démocrate et républicaine", Stéphane Peu, soulignant en outre l'encombrement du calendrier parlementaire jusqu'à la fin de la session parlementaire, cet été. "La proposition de loi ne se débattra pas dans l'Assemblée cette semaine" a tranché, encore plus affirmative, la présidente du groupe "La France insoumise", Mathilde Panot.
Bien que les députés de la commission des affaires culturelles et de l'éducation aient à peine dépassé l'examen de l'article 1er, qui porte la principale mesure du texte et qui a été adopté, ils ont pu largement débattre du fond de la réforme. Cette dernière prévoit notamment la création d'une holding, baptisée France Médias, qui regrouperait France Télévisions, Radio France et l’Institut national de l’audiovisuel (INA), sous l'autorité d'une seule et même présidence, dans l'objectif d'affronter un paysage audiovisuel en pleine mutation.
Sans holding, sans coopération, sans chef d'orchestre, sans arbitre, l'audiovisuel public va s'affaiblir durablement. Jérémie Patrier-Leitus (Horizons), co-rapporteur de la proposition de loi
La gauche a largement manifesté son opposition à la réforme tout au long des débats, faisant part de ses craintes quant à des baisses de budget, une perte d'autonomie et une atrophie de l'information locale, rappelant en outre l'hostilité des salariés au projet. Les syndicats de France Télévisions ont d'ailleurs lancé un nouvel appel à la grève pour jeudi et vendredi, les dates initialement prévues de l'examen du texte. "Ce texte, c'est tout sauf de la proximité, ça va détacher le public des éditions locales", a notamment déploré Iñaki Echaniz (Socialistes).
Le débat a également porté sur la forme, plusieurs représentants du socle gouvernemental déplorant le nombre d'amendements déposés par la gauche. "Ce n'est plus de l'obstruction parlementaire ; on est dans la psychanalyse du texte, dans l'exégèse. Franchement c'est pas au niveau", a regretté le co-rapporteur, Jérémie Patrier-Leitus (Horizons), à l'issue d'une longue série de sous-amendements rédactionnels. "Tous les moyens sont bons pour gagner ou pour perdre du temps", a soupiré, plus tard dans la soirée, l'autre co-rapporteure, Virginie Duby-Muller (apparentée Droite républicaine).
"Vous passez par une proposition de loi en la dénaturant complètement, vous nous donnez les amendements du gouvernement quelques heures avant l'heure de leur examen", a rétorqué Sophie Taillé-Polian (Ecologiste et social), l'une des opposantes les plus actives en commission. Plusieurs députés, dont elle et Ayda Hadizadeh (Socialistes), ont également souligné l'absence d'une étude d'impact stricto sensu détaillant les effets de la réforme.
A la suite de l'incident de la semaine dernière, la ministre de la Culture s'est montrée réservée, voire discrète, au cours des travaux de la commission. En début de soirée, un échange assez vif a cependant opposé Rachida Dati à l'un de ses potentiels concurrents aux prochaines élections municipales à Paris. "Ce n'est pas la peine de faire le malin", a-t-elle sèchement répondu à Emmanuel Grégoire (Socialistes) qui lui reprochait son absence de réponses élaborées. "Nous faisons de l'obstruction précisément parce que vous refusez de répondre à la moindre question", a-t-il lancé en retour. Ce dialogue animé n'a toutefois eu aucune incidence sur la suite des débats, qui se sont achevés à minuit, sans certitude quant à l'avenir proche de la réforme.