Commission d'enquête TikTok : le rapport préconise l'interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans

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TikTok Flickr
Tiktok (image d'illustration © Flickr)
par Raphaël MarchalAnne-Charlotte Dusseaulx, le Jeudi 11 septembre 2025 à 06:30

Le rapport de la commission d'enquête sur "les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs" sera présenté, ce jeudi 11 septembre, lors d'une conférence de presse à l'Assemblée nationale. LCP, qui a pu consulter ce rapport, vous en dévoile le contenu. Rédigé par la députée Laure Miller (Ensemble pour la République), il préconise notamment d'interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans. 

"Quand le divertissement vire au cauchemar." Le constat - posé par la rapporteure de la commission d'enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, Laure Miller (Ensemble pour la République) -, apparaît dès le titre du rapport rendu public ce jeudi 11 septembre, après avoir été adopté à l'unanimité des députés de la commission la semaine dernière. Sur 273 pages, l'élue de la Marne dénonce "le pire des réseaux sociaux à l'assaut de notre jeunesse" et "des contenus majoritairement néfastes" - suicide, automutilation, désinformation médicale, violences… -, qui "pour la plupart mettent en danger les utilisateurs"

Une situation face à laquelle Laure Miller déplore "le manque d'étude à grande échelle" sur les conséquences psychologiques de l'utilisation de TikTok chez les jeunes, malgré "des effets dévastateurs, difficiles à mesurer, mais bien identifiés". "Plusieurs constats peuvent cependant être partagés" et "imposent l’application d’un principe de précaution", poursuit-elle, listant "les consensus forts" de la communauté scientifique. Surtout que les mineurs "ne sont pas des utilisateurs comme les autres", mais "des publics particulièrement vulnérables, devant faire l’objet d’une attention spécifique et d’une protection renforcée", souligne la députée, pour qui "un lien de corrélation clair apparaît entre la dégradation de la santé mentale des jeunes et une utilisation intensive des réseaux sociaux, avec un biais de genre important au détriment des jeunes filles".

La rapporteure pointe du doigt la responsabilité des plateformes qui "ont connaissance des risques inhérents à l’utilisation des réseaux sociaux", mais n'en informent pas le public. Revenant sur l'audition en juin dernier des responsables de TikTok, Laure Miller estime qu'elles ont "été éclairantes quant au déni entretenu par la plateforme sur l’ensemble des éléments problématiques mis en avant dans le rapport".

Quant aux auditions de certains influenceurs particulièrement controversés, qui ont eu lieu avant la pause estivale, elles "n'ont pas apporté grand-chose sur le fond, si ce n’est la confirmation du cynisme et de la dangerosité de certains face au laisser-aller des plateformes".

Interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans

Pour sortir du "piège TikTok", Laure Miller formule 43 recommandations. L'élue EPR exclut d'entrée le blocage pur et simple de la plateforme, qui serait non seulement "inefficace", n'empêchant pas l'arrivée d'une application qui en singerait les codes, mais aussi "fragile du point de vue juridique".

Les mineurs de 13 à 15 ans sont encore trop vulnérables pour être exposés aux réseaux sociaux, même avec autorisation parentale. Laure Miller (rapporteure de la commission d'enquête)

Laure Miller préconise, en revanche, d'interdire l'accès aux réseaux sociaux aux mineurs de moins de 15 ans - exceptées les simples messageries -, en portant le chantier de cette interdiction à l'échelle de l'Union européenne et, si nécessaire, en agissant au niveau national. Une idée soutenue par la ministre déléguée chargée du NumériqueClara Chappaz, lors de son audition en juin dernier.

En outre, Laure Miller prône une utilisation raisonnée pour les jeunes 15 à 18 ans, qui passerait par un couvre-feu numérique de 22h à 8h, excluant l'utilisation nocturne des réseaux sociaux. La députée va même plus loin, en mettant dans la balance une interdiction pure et simple pour l'ensemble des mineurs à horizon 2028, "si les réseaux sociaux ne respectent pas de façon satisfaisante leurs obligations juridiques et/ou s’avèrent représenter pour les mineurs des risques importants et persistants".

La borne d'âge de 15 ans ne convainc cependant pas le président de la commission d'enquête, Arthur Delaporte (Socialistes). Au-delà de l'efficacité de la mesure, qu'il estime en substance incertaine, "c’est d’une certaine manière admettre que nous avons renoncé à réguler les géants du numérique", considère-t-il dans l'avant-propos du rapport. De concert, les deux parlementaires jugent en revanche nécessaire de renforcer les moyens pour les plateformes de contrôler effectivement l'âge de leurs utilisateurs.

Ils plaident également pour un renforcement des sanctions prévues en cas de non-respect de l'obligation de protection des utilisateurs mineurs prévue par le droit communautaire, en faisant en sorte qu'elles soient "non seulement systématiques, mais suffisamment dissuasives pour modifier les comportements des plateformes". En parallèle, et après des auditions de familles de victimes particulièrement marquantes, Laure Miller juge indispensable d'élargir le champ des obligations pesant sur les plateformes en matière de lutte contre les contenus glorifiant le suicide, qui ne sont pas toujours traités avec suffisamment d'importance par les plateformes.

Interdire les portables dans les lycées

Décrivant les effets nocifs des téléphones portables dans les écoles, aussi bien sur les facultés cognitives que sur la socialisation, Laure Miller estime aussi nécessaire de pérenniser le dispositif "portable en pause" dans les collèges et les écoles élémentaires. Mais aussi d'interdire l'usage du portable dans tous les lycées - à l'heure actuelle, cette disposition dépend du règlement intérieur de l'établissement.

Plus largement, elle invite à repenser "l'apport pédagogique et éducatif réel" de l'utilisation des outils numériques en matière scolaire, appelant à "réduire l'usage du numérique au strict nécessaire". "Comment sérieusement essayer de tenir nos enfants le plus possible éloignés des écrans, quand on leur demande de se connecter, sitôt rentrés de l’école, à Pronote ou tout autre logiciel, pour récupérer leurs devoirs ?"

Mettre fin à la toute-puissance des algorithmes

Afin de limiter le "pouvoir immense" pris par les algorithmes, la rapporteure propose de porter, là encore au niveau européen, des négociations pour imposer aux plateformes une diversification des contenus et réintroduire une part d'aléatoire, voire de permettre aux utilisateurs de personnaliser leur expérience. Afin d'éviter les phénomènes de "bulles de filtres" et de "spirales de contenus néfastes".

La députée recommande même d'offrir aux utilisateurs des réseaux sociaux le choix entre plusieurs algorithmes, ce qui garantirait "un réel pouvoir de décision sur leur expérience numérique". Ce pluralisme algorithmique, une "évolution majeure", implique toutefois des contraintes techniques et juridiques.

Alerter sur le danger des réseaux sociaux

Autre enseignement des travaux de la commission : la relative "ignoran[ce]" du grand public sur certains risques liés aux réseaux sociaux, notamment concernant la santé mentale et l'exposition répétée à des contenus négatifs. Afin de pallier ce manque, Laure Miller préconise de renforcer les campagnes d'information et de contraindre les plateformes à communiquer sur ce point dans le cadre de campagnes publicitaires. En parallèle, elle propose de mieux sensibiliser les jeunes générations, dès la classe de CP, et de renforcer l'éducation numérique des enfants comme des parents - allant jusqu'à insister sur l'existence de portables sans accès à internet, plus adaptés, selon elle, aux mineurs.

En fin de rapport, l'élue souligne les effets nocifs de l'exposition aux écrans sur le cerveau des jeunes enfants et va jusqu'à soumettre à la réflexion l'idée d'un "délit de négligence numérique" dans un horizon de trois ans, en tablant d'ici là sur une "campagne d'information massive" destinée à combler les lacunes des parents. Et d'envisager que les "manquements graves des parents" en la matière pourraient être punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

En parallèle, pointant le "manque de moyens affectés à la prise en charge des troubles psychiatriques des enfants et adolescents", le rapport recommande d'augmenter les effectifs de professionnels de santé et des intervenants en milieu scolaire, ainsi que de renforcer la formation des professionnels de l'enfance sur les usages numériques des mineurs.

A l'issue des travaux de la commission d'enquête, Laure Miller (Ensemble pour la République), considère que ce rapport a "deux vocations" : d'abord, "une sensibilisation massive pour que chacun comprenne l’enjeu immense de la protection de nos jeunes en ligne" ; puis, celle de "transformer le plus rapidement possible les préconisations en actes politiques".

Arthur Delaporte revient sur les auditions des influenceurs

Ce fut probablement la journée la plus médiatisée de la commission d'enquête : celle durant laquelle se sont déroulées les auditions de plusieurs influenceurs controversés. Jalonnés d'épisodes parfois lunaires, ces entretiens ont été abondamment commentés et largement diffusés sur les réseaux sociaux. "Une rencontre entre deux mondes considérés comme parallèles", concède le président de l'instance, Arthur Delaporte (Socialistes), dans l'avant-propos du rapport, tout en jugeant "incorrect de dire que ces auditions ont été inutiles". "Si leur mépris de la représentation nationale a choqué, leurs provocations ont aussi révélé à ceux qui croyaient que TikTok n’était qu’une application de divertissement qu’il s’agissait d’abord d’un business juteux, pour la plateforme comme pour certains influenceurs sans éthique", pointe le député.

Arthur Delaporte porte lui aussi un regard particulièrement sévère sur la plateforme, qui "expose en toute connaissance de cause nos enfants, nos jeunes, à des contenus toxiques, dangereux, addictifs". Le président de la commission apporte 13 recommandations "complémentaires" à celles de Laure Miller : limiter les fonctionnalités pour les comptes mineurs - comme le défilement infini de vidéos -, qualifier les dons sur TikTok de jeux d'argent, obliger les plateformes à vérifier l'âge des utilisateurs, ou encore forcer les plateformes à recruter davantage de modérateurs.