La commission d'enquête "sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public", créée via le droit de tirage du groupe Union des droites pour la République, présidé par Eric Ciotti, est en passe d'entamer ses travaux. La patronne de France Télévisions, Delphine Ernotte, sera auditionnée le 10 décembre, et son homologue de Radio France, Sibyle Veil, le 17 décembre.
Les travaux de la commission d'enquête "sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public" débuteront le 25 novembre, mais déjà son rapporteur, le député Charles Alloncle (Union des droites pour la République), se réjouit d'avoir passé l'étape de la recevabilité fin octobre, et prépare les travaux à venir. "C'est la première fois que l'Assemblée nationale s'intéresse à l'audiovisuel public* dans le cadre d'une commission d'enquête. Dans un moment où la défiance monte à l'égard des médias, où on demande à tout le monde de se serrer la ceinture, il est normal que les députés regardent comment est utilisé l'argent des Français", explique à LCP l'élu de l'Hérault, qui estime que l'audiovisuel public a jusqu'à présent été "trop sanctuarisé" et doit désormais "rendre des comptes".
Alors, pendant les six mois à venir, Charles Alloncle – qui a été confirmé dans ses fonctions de rapporteur lors de la composition du bureau de la commission le 12 novembre – va multiplier les auditions. La première ? Celle du président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), Martin Ajdari, ainsi que de son prédécesseur Roch-Olivier Maistre, le 25 novembre. Puis, selon nos informations, ce sont la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, le 10 décembre, et la présidente-directrice générale de Radio France, Sibyle Veil, le 17 décembre, qui seront auditionnées. Seront également convoquées des membres de la Cour des comptes, auteur d'un récent rapport sur la gestion de France Télévisions, dont les résultats nets représentent un déficit cumulé de 80 millions d'euros entre 2017 et 2024. "N'importe quel patron d'entreprise publique ou privée aurait été remercié pour un tel bilan", estime Charles Alloncle (UDR).
"J'aimerais bien auditionner François Hollande pour qu'il réponde des révélations de M. Schrameck [l'ancien patron du CSA, ndlr], qui a affirmé que le Président lui avait demandé de prioriser la candidature de Delphine Ernotte", poursuit le rapporteur de la commission, qui veut également entendre des journalistes, comme Léa Salamé, Patrick Cohen et Thomas Legrand. C'est la diffusion d'extraits d'une conversation, captée à leur insu, entre ces deux derniers et deux responsables du Parti socialiste (Pierre Jouvet et Luc Broussy) qui avait amené, début septembre, le président du groupe UDR, Eric Ciotti, à demander la création de cette commission d'enquête, renonçant ainsi à celle envisagée sur le coût de l'immigration, chaque groupe politique de l'Assemblée nationale ayant la possibilité d'en obtenir une par an.
Outre la question de la gestion financière et celle d'éventuels "conflits d'intérêts", le rapporteur entend questionner la "neutralité" de l'audiovisuel public. "Je ne serai le porte-parole d'aucun camp politique, mais j'ai l'impression qu'il y a des partis qui ne sont pas traités à équivalence sur les chaînes de l'audiovisuel public, le Rassemblement national, mais aussi La France insoumise", déclare Charles Alloncle, en faisant référence à des travaux de l'Arcom. Avant d'ajouter, dénonçant des "biais idéologiques" et "des dérives" : "Il y a une rupture du contrat de mission de service public quand un dirigeant donne une ligne politique à sa rédaction."
Je veux m'assurer que ce soit une commission d'enquête qui puisse faire son travail et ne pas tomber dans la politique spectacle. le président de la commission, Jérémie patrier-leitus (HOrizons)
Depuis l'annonce de la création de cette commission d'enquête, plusieurs députés ont exprimé leurs craintes concernant les travaux à venir. "C'est une commission d'enquête contre l'audiovisuel public et pas sur l'audiovisuel public ! Il y a un risque d'instrumentalisation politique", met en garde auprès de LCP la députée Sophie Taillé-Polian (Ecologiste et social), l'une des quatre secrétaires de l'instance, mais seule représentante de la gauche sur les dix membres du bureau (retrouvez ici la composition complète). "On sait très bien que l'UDR comme le RN ne veulent pas que du bien à l'audiovisuel public. La traduction en commission d'enquête laisse présager qu'ils vont être à charge", abonde Céline Calvez (Ensemble pour la république), l'une des quatre vice-présidents. Et de poursuivre : "ll faut que ce soit une commission d'enquête, pas un tribunal ou un spectacle."
Un avis partagé par Jérémie Patrier-Leitus (Horizons), le président de cette commission sur l'audiovisuel public. "Je veux m'assurer que ce soit une commission d'enquête qui puisse faire son travail et ne pas tomber dans la politique spectacle, qu'elle ne soit ni une cour de justice ni un tribunal d'inquisition", explique-t-il, également sollicité par LCP. Car beaucoup gardent en tête la commission d'enquête sur la TNT, menée par le député Aurélien Saintoul (La France insoumise) et l'ex-député Quentin Bataillon (Ensemble pour la République), qui avait beaucoup fait de remous début 2024. "Maintenant que cette commission est créée, si on a des débats de fond de qualité, ça peut être l'occasion de renforcer le lien entre l'audiovisuel public et les Français", veut espérer Jérémie Patrier-Leitus.
Le 12 novembre, lors de l'élection du président de la commission d'enquête, le député Horizons l'a emporté (14 voix contre 7) face à Erwan Balanant (Les Démocrates), le candidat qui avait été officiellement choisi par le bloc central. "Jérémie Patrier-Leitus a été soutenu par l'extrême droite. Cette dernière a choisi son président", déplore Sophie Taillé-Polian, qui regrette que la composition du bureau ait eu lieu en même temps que débat sur la suspension de la réforme des retraites dans l'hémicycle. "Beaucoup de collègues étaient absents", explique-t-elle. "L'extrême droite n'a pas voté pour Patrier-Leitus, mais contre Balanant", commente quant à lui un élu du bloc central, membre de la commission, qui aurait préféré un meilleur équilibre politique entre les rôles de président et de rapporteur. "Le bloc central n'a pas voté pour Balanant. Il n'a eu qu'une voix, en plus de la sienne !", rétorque, au contraire, un autre présent.
Il n'y a aucune déclaration publique de ma part où j'appelle à la privatisation. Le rapporteur Charles Alloncle (UDR)
Après le vote, Erwan Balanant a critiqué, auprès de Politico, une commission devenue "une mascarade avec un rapporteur UDR et un président plébiscité par le RN et l'UDR qui ont applaudi son vote". C'est un "mauvais procès", répond à LCP Jérémie Patrier-Leitus, qui s'il se dit favorable à la création d'une "holding" de l'audiovisuel public, s'oppose à toute privatisation – contrairement à l'extrême droite. "C'est pour protéger l'audiovisuel public qu'il faut être exigeant avec les acteurs. Et ce n'est pas parce qu'on est exigeant qu'on souhaite la privatisation, la suppression, ou qu'on est dans une campagne de destruction", complète le député, qui avait saisi l'Arcom sur l'affaire Legrand-Cohen.
De son côté, Charles Alloncle (UDR) indique qu'il n'y a "aucune déclaration publique de [sa] part où [il] appelle à la privatisation". "Je serai éclairé à l'issue de la commission d'enquête, je ne veux surtout pas valider en amont d'éventuels a priori", affirme le rapporteur.
Egalement vice-président de la commission, le député Philippe Ballard (Rassemblement national) repousse, lui aussi, toute accusation d'instrumentalisation politique. "Ce n'est pas l'optique qu'on a", assure-t-il à LCP, préférant mettre en avant une volonté de "démêler le vrai du faux", "de comprendre comment les journalistes travaillent", ou "pourquoi c'est un gouffre financier". Les craintes évoquées par certains sont-elles justifiées ? "Pour les dirigeants de ces entreprises et du service public ? On ne peut rien garantir. Pour les salariés ? Non", assure le député RN, qui souhaite que les travaux à venir fassent un "focus" sur les contrats passés avec les sociétés de production.
Il y a un dévoiement complet du terme neutralité. C'est cette partie qui m'inquiète. la députée Sophie Taillé-polian (Ecologiste et social)
"J'ai suggéré qu'il ne fallait pas simplement regarder qui produit le service public et ce qui est produit, mais aussi demander l'avis du public", explique pour sa part Céline Calvez (EPR). "Souvent on oublie l'intérêt du public et comment on doit le susciter", ajoute la députée du parti présidentiel. A ses yeux, il sera également nécessaire, en amont des travaux, de définir plusieurs notions, dont celle de "neutralité", qui figure dans le titre de la commission d'enquête. "Le terme nous a beaucoup interpellé en commission au moment de la présentation du rapport" de recevabilité par Charles Alloncle (UDR), précise-t-elle. "Qu'il y ait une commission d'enquête sur l'utilisation des moyens, sur la manière dont est utilisé l'argent public, c'est tout à fait légitime. Mais il y a un dévoiement complet du terme neutralité. C'est cette partie qui m'inquiète", renchérit Sophie Taillé-Polian (Ecologiste et social). "On peut quand même s'attarder sur le fonctionnement de certaines émissions, sur ce qui est dit à l'antenne, les idées voire idéologies qui sont véhiculées", considère quant à lui Philippe Ballard (RN), qui conclut : "On a six mois pour tirer tout ça au clair."
(* L'audiovisuel public, qui reçoit chaque année environ 4 milliards d'euros de dotations publiques, regroupe France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, l'Institut national de l'audiovisuel (INA) et ARTE France.)