Dérapage du déficit public : les temps forts de la commission d'enquête, qui s'apprête à examiner le rapport issu de ses travaux

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Bruno Le Maire Assemblée
Bruno Le Maire lors de son audition par la commission d'enquête sur le dérapage des finances publiques
par Raphaël Marchal, le Mardi 8 avril 2025 à 11:37

En octobre dernier, la commission des finances de l'Assemblée nationale, présidée par Eric Coquerel (La France insoumise) s'est dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête pour comprendre les causes du dérapage budgétaire au cours des deux derniers exercices. Ce mercredi 9 avril, les députés de la commission examineront le rapport de Mathieu Lefèvre (Ensemble pour la République) et Eric Ciotti (Union des droites pour la République). Retour sur les temps forts de la commission d'enquête. 

Faire la lumière sur les causes du dérapage budgétaire, sur les erreurs de prévisions en matière de recettes, sur l'écart entre les objectifs affichés par les gouvernements successifs et la réalité des chiffres en matière de déficit public... Et déterminer le degré de responsabilité de chacun. Ce mercredi 9 février, la commission des finances, dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête, s'apprête à examiner le rapport issu de ses travaux. Un examen qui aura lieu à huis clos, comme le veut la procédure, avant d'être rendu public la semaine prochaine. 

Cette instance avait été mise sur pied en octobre dernier, un consensus politique ayant permis de la mettre sur les rails, avec Eric Coquerel (La France insoumise) à sa tête, et les élus Eric Ciotti (Union des droites pour la République) et Mathieu Lefèvre (Ensemble pour la République) en tant que co-rapporteurs. Au terme d'un débat consistant sur l'intitulé et le périmètre de leur enquête, les députés avaient décidé de centrer leurs travaux sur les années 2023-2024.

Au fil de la trentaine d'auditions menée, les députés ont confirmé le constat qui s'était dessiné, celui d'un écart conséquent entre les prévisions macroéconomiques et la réalité des chiffres, tout particulièrement concernant les recettes. Rendement de la TVA, taxe sur les superprofits des énergéticiens, impôt sur les sociétés... Autant de recettes décevantes par rapport aux prévisions initiales, qui expliquent le trou dans la caisse : 20 milliards d'euros en 2023, le double l'année suivante.

Tout le monde s'accorde sur ce diagnostic, mais pas sur les causes, ni sur le remède à proposer. Et les auditions des responsables politiques entendus se sont parfois déroulées dans une ambiance tendue, voire électrique, tournant parfois à l'affrontement politique et aux joutes oratoires. S'agissant d'un tel sujet, la présentation du rapport ne devrait, en outre, pas éteindre le débat politique... 

L'offensive de Bruno Le Maire

Sans surprise, l'audition la plus attendue était celle de Bruno Le Maire, locataire de Bercy entre 2017 et 2024, personnalité politique censément la mieux informée de la situation financière du pays. L'énarque a défendu son bilan et la sincérité de son action pendant près de 4 heures. Loin de tout mea culpa, l'ex-ministre de l'Economie et des Finances a renvoyé les députés à leur propre tendance à augmenter les dépenses plutôt qu'à les réduire, déplorant des propositions politiques "hypocrites", et fustigeant lla censure du gouvernement de Michel Barnier par les oppositions. "Jamais vous ne me ferez porter la responsabilité de cet aveuglement collectif qui vous interdit de voir une chose simple, ni les impôts ni les bouts de ficelles ne régleront le problème de la dette et des déficits en France", a-t-il lancé aux élus.

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L'ancien ministre a imputé l'écart dans les prévisions de recettes aux services de Bercy, tout en les assumant personnellement, ces services étant placés sous sa responsabilité. Bruno Le Maire a également évoqué le poids de la crise Covid, de la guerre en Ukraine, mais aussi le coût du modèle social français et du financement des retraites pour expliquer la dégradation des finances publiques.

Entendu quelques jours plus tard, Thomas Cazenave, ex-ministre délégué chargé des Comptes publics (juillet 2023-septembre 2024) a lui aussi mis en avant un "problème de correcte estimation des recettes en sortie de crise", tout en insistant sur le dynamisme des dépenses des collectivités territoriales.

Matignon sur le gril

Tous les ex-Premiers ministres ayant officié au cours de la période ont également auditionnés par la commission : Elisabeth Borne (mai 2022-janvier 2024), Gabriel Attal (janvier-septembre 2024) et Michel Barnier (septembre-décembre 2024). Tous trois ont défendu leur bilan, écartant toute négligence qui aurait conduit à mettre en péril les finances publiques. "L'essentiel de l'énergie qu'un gouvernement consacre, ce n'est pas challenger les prévisions de recettes des services du ministère de l'Economie, mais de faire rentrer l'édredon dans la valise", a énoncé Elisabeth Borne, qui a avancé un "dysfonctionnement" dans l'évaluation des recettes. Avant de plaider pour un meilleur suivi de l'évolution réelle des recettes et pour un renforcement des capacités de contrôle du Parlement.

Gabriel Attal s'est lui aussi défendu de toute négligence ou dissimulation. "J’ai eu le sentiment de consacrer l’essentiel de mon énergie et du temps que j’ai passé à Matignon à faire des économies", a assuré l'actuel président du groupe "Ensemble pour la République" à l'Assemblée nationale. Mettant en avant une baisse des dépenses de l'Etat de 11 milliards d'euros pendant qu'il était à Matignon, et le "frein d'urgence" qu'a constitué l'annulation des 10 milliards d'euros d'annulation de crédits budgétaires. Gabriel Attal a également assumé de ne pas avoir conduit de projet de loi de finances rectificative (PLFR).

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Michel Barnier a, quant à lui, lui réitéré son rôle de "découvreur" de la situation des finances publiques. Nommé après la dissolution, il n'est resté que trois petits mois à Matignon. Suffisamment longtemps pour faire part de sa surprise quant à une situation "plus préoccupante" que ce à quoi il s'attendait. Mettant dès lors sur les rails un budget visant à préserver contre le dérapage budgétaire. "Je prends le risque d'être impopulaire pour ne pas être irresponsable", a-t-il affirmé devant la commission d'enquête lors de son audition.

Le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a également été entendu par les députés. Habitué de la commission des finances, celui qui préside également le Haut Conseil des finances publique (HCFP) a alerté à plusieurs reprises, dans le langage mesuré mais précis de l'institution de la rue Cambon, sur l'optimisme des prévisions gouvernementales en 2023 et 2024. 

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Devant les députés, le haut fonctionnaire a proposé de renforcer les prérogatives du Haut Conseil des finances publique, afin d'éviter qu'une telle situation ne se représente, en confiant au HCFP la réalisation des prévisions macroéconomiques, ou, a minima, en obligeant le gouvernement a justifier ses prévisions en cas de doutes du Haut Conseil. Cette externalisation des prévisions, à un stade plus ou moins avancé, devrait figurer en bonne place dans le rapport de la commission d'enquête.

Le refus d'Alexis Kohler d'être auditionné

Un épisode a, par ailleurs, été particulièrement médiatisé. Celui du refus d'Alexis Kohler de répondre à la convocation des élus, par deux fois. Le secrétaire général de l'Elysée a tout d'abord invoqué des problèmes d'agenda, avant de brandir le principe de la "séparation des pouvoirs" pour se justifier.

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Face à son refus réitéré, le président de la commission des finances, Eric Coquerel (LFI), a saisi le procureur de la République pour demander des poursuites. Selon une ordonnance du 17 novembre 1958, refuser de répondre à la convocation devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. Alexis Kohler, qui a témoigné par le passé devant des instances similaires au Parlement, devait être entendu au Sénat, ce mardi 8 avril, dans le cadre de l'affaire des eaux en bouteille, mais a finalement décliné la convocation qui lui avait été adressée.

Et maintenant ?

La commission des finances va désormais se pencher sur le rapport préparé Mathieu Lefevre (EPR) et Eric Ciotti (UDR), qui sera dévoilé, ce mercredi 9 avril, aux seuls députés de la commission, comme le veut la procédure. A l'issue d'un délai d'une semaine, le rapport sera rendu public, et devrait donner lieu à une épreuve de force politique.

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Chose assez inédite : le rapport de force a déjà été installé, de manière préventive, par membres de la commission des finances. Le 25 mars, le co-rapporteur Mathieu Lefèvre (Ensemble pour la République) a organisé une conférence de presse au cours de laquelle il a indiqué que l'erreur "majeure" d'évaluation des recettes était imputable aux services de Bercy, réfutant toute faute "politique". L'autre co-rapporteur, Eric Ciotti, (Union des droites pour la République), n'a guère goûté le procédé. "En publiant ses pseudo-conclusions du rapport de la commission d’enquête sur la dérive des comptes publics, Mathieu Lefèvre contrevient aux règles les plus élémentaires de notre Parlement", a écrit le président du groupe UDR sur X, condamnant des "méthodes de petit télégraphiste de la macronie".

De son côté, le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, Charles de Courson (Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires), a mené sa barque en solitaire, en travaillant en parallèle de la commission d'enquête pour aboutir à une contribution personnelle. Le député, spécialiste des finances publiques, a fustigé la défense des ministres entendus, et a fortiori celle de Bruno Le Maire. "Pour moi, le responsable, c'est le ministre en charge de ce dossier. Si vous commencez à dire 'c'est la faute aux services, c'est pas moi, c'est mon directeur de cabinet', ça veut dire que vous n'existez pas", a-t-il conclu, appelant les dirigeants politiques à assumer leurs responsabilités.