L'Assemblée nationale s'est opposée, ce jeudi 26 juin, à la proposition des députés du groupe Union des droites pour la République, présidé par Eric Ciotti, d'interdire l'exécution immédiate de peines d'inéligibilité. La gauche et le bloc central ont dénoncé une loi taillée sur mesure pour Marine Le Pen, qui a fait appel de sa condamnation dans l'affaire des assistants d'eurodéputés Front national.
Après trois heures de vifs débats, où les députés ont enchaîné les rappels au règlement, notamment pour mise en cause personnelle, le président du groupe Union des droites pour la République, Eric Ciotti, a fait le choix, ce jeudi 26 juin, de retirer sa proposition de loi "visant à protéger l'effectivité du droit fondamental d'éligibilité".
Quelques minutes plus tôt, celle-ci avait été vidée de sa substance : les amendements de suppression de l'article unique du texte - il y en avait sept, venus des bancs de la gauche, mais aussi des députés Mathieu Lefèvre (Ensemble pour la République) et de Laurent Mazaury (Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires) - avaient été adoptés par 185 voix pour et 120 contre. Ces amendements avaient reçu un avis de sagesse du gouvernement, par la voix du ministre de la Justice, Gérald Darmanin.
"Vous exprimez un vote qui va à l'encontre de la démocratie. (...) Ce sont dans les régimes où la liberté n'est plus en place qu'on élimine les opposants", a vivement réagi Eric Ciotti (UDR), allié de Marine Le Pen et du Rassemblement national depuis les législatives de l'été dernier. Il a notamment reproché à certains députés du parti présidentiel d'avoir tenu des propos "honteux" et "scandaleux". Et de fustiger les élus du bloc central d'avoir "joint leurs voix avec le NFP, avec LFI, ce qu'il y a de plus ignoble dans notre République".
Une conclusion qui résume bien la tonalité des discussions matinales. Si le Rassemblement national et Les Républicains ont apporté leur soutien à la proposition de loi UDR, l'ensemble des autres groupes de l'hémicycle s'y sont fermement opposés.
Lors de la discussion générale, Prisca Thévenot (EPR) a dénoncé une "loi non pas pour les Français, mais taillée sur mesure pour votre amie du RN, une loi d'exception, une exception qui porte un nom, Marine Le Pen". "Nous voici au rendez-vous des petits arrangements de copains, des accommodements de coquins qui n'aiment la loi que quand elle s'applique aux autres, qui ne revendiquent la justice que quand elle leur est favorable", a pour sa part lancé le président du groupe Socialistes, Boris Vallaud.
Sans "fermer les portes" à une future réflexion sur le sujet, Philippe Vigier (Les Démocrates) a quant à lui estimé que la loi ne devait pas "se plier à l'émotion, ni à quelque opportunité politique". Dans le même esprit, nombre de députés ont critiqué le fait que ce texte ait été présenté alors que Marine Le Pen a fait appel de sa condamnation dans l'affaire des assistants d'eurodéputés du Front national. "Le groupe Horizons se demande si ce texte ne serait pas plutôt une loi d'amnistie, voire une loi d'auto-amnistie", a ainsi déclaré Agnès Firmin-Le Bodo.
A l'ouverture des débats, la rapporteure du texte Brigitte Barèges (UDR) avait tenté de faire valoir ses arguments, assurant qu'il ne s'agissait pas d'une proposition de loi "destinée à une seule personne", en l'occurrence Marine Le Pen, et qu'il n'était pas question "de défendre un camp, mais des principes". L'élue du Tarn-et-Garonne a, comme en commission, évoqué son cas personnel et affirmé que certains principes intangibles de notre droit pénal étaient "bafoués par l’exécution provisoire", parmi lesquels "l'effet suspensif de la peine et le principe tout aussi sacro-saint de la présomption d'innocence, qui doit demeurer jusqu'au terme définitif du procès pénal". Avant d'ajouter : "Il ne s'agit pas de gommer une peine, mais d'en suspendre les effets jusqu'à ce qu’elle soit éventuellement, ou pas, prononcée de manière définitive."
Sans surprise, Bruno Bilde (RN) a dit le soutien de son groupe à cette proposition de loi, voyant dans l'exécution provisoire "un mécanisme profondément injuste", qui est "non seulement juridiquement discutable, mais démocratiquement inacceptable".
Au nom de la Droite républicaine, Olivier Marleix s'est interrogé sur ce que pourrait être la réparation d'un "préjudice" subi par un candidat à la présidentielle empêché de se présenter qui serait relaxé par la suite. "Est-ce qu'on sait réparer ce préjudice ?", a-t-il questionné dans l'hémicycle. "Il ne devrait pas y avoir d'exécution provisoire s'il n'y a pas de réparation possible. C'est au nom de ce principe que la Droite républicaine voteront en faveur de cette proposition de loi", a-t-il indiqué, non sans avoir rappelé en préambule que "la probité est la condition sine qua none du rétablissement de la confiance dans la vie politique".
Il n'a donc pas suivi le "message" adressé aux Républicains, quelques minutes plus tôt, par Prisca Thévenot (EPR). "Vos électeurs ne vous ont pas choisi pour copier le RN, ils vous ont fait confiance pour leur faire barrage et en marchant avec eux, vous trahissez la confiance qu'ils ont placée en vous", avait-elle déclarée.
La proposition de loi n'a pas non plus reçu le soutien du gouvernement. L'exécution provisoire, "ce n'est pas un automatisme et ce n'est pas une dérive", a tenu à rappeler le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, présent dans l'hémicycle. Le texte du jour "prétend sans doute répondre à une situation médiatique particulière, à une émotion du moment qui touche l'un de vos collègues à l'Assemblée nationale, et c'est sans doute bien là le problème", a-t-il considéré, car "on ne change pas des règles du droit pendant des procès". "Cette question [de l'exécution provisoire] ne peut pas se régler pour le bon plaisir de pouvoir imaginer une candidature à telle ou telle élection", a poursuivi le garde des Sceaux.
Avant la suppression de l'article unique, un amendement du groupe Ecologiste et social visant à nommer le chapitre de l'article unique, avec la mention "création d'une justice de classe", a été adopté (141 voix pour et 136 voix contre), alors qu'un double avis défavorable avait été prononcé par la rapporteure Brigitte Barèges et le ministre Gérald Darmanin.
Lors des débats, le ton est rapidement monté entre les partisans et les opposants à la proposition. Tout a débuté avec la prise de parole d'Emmanuel Duplessy (Ecologiste et social), qui a évoqué le cas de la mère d'Eric Ciotti, "hospitalisée pendant 18 ans dans un service de soins réservé à des séjours de courte durée". Ce qui a provoqué un rappel au règlement de la part du président du groupe UDR, puis une suspension de séance.
"Je crois qu'on a atteint le summum de l'indignité ! Vous pouvez m'attaquer, c'est la règle et je peux l'accepter, (...) mais ce que je ne peux pas accepter, c'est que vous ayez mis en cause la situation de ma mère !", qui est "tétraplégique", "sur un lit de souffrance", a répliqué Eric Ciotti, accusant Emmanuel Duplessy d'être "animé par la haine" et "dépourvu de toute humanité". "Tout n'est pas permis", a complété Sébastien Chenu (RN), dans une succession de rappel au règlements, demandant que l'élu du groupe Ecologiste et social présente "des excuses".
L'ambiance s'est encore tendue par la suite. Plusieurs députés ont pointé l'absence de Marine Le Pen dans l'hémicycle. "Elle n'est pas là parce qu'elle a honte de ce qu'elle est en train de faire, elle sait que notre démocratie vaut mieux que cela", a critiqué Mathieu Lefèvre (EPR). "C'est une privatisation de nos travaux pour Madame Le Pen, c'est peut-être un nouveau détournement de fonds publics," a renchéri Ayda Hadizadeh (Socialistes).
Reprenant la parole pour défendre un texte "fondamental, qui a une importance particulière parce qu'il touche la démocratie, la justice, qu'il parle de la présomption d'innocence", Sébastien Chenu (RN) a accusé certains bancs de l'Assemblée nationale de ne "pas aimer la démocratie", "d'avoir soutenu tous les régimes les plus abominables hier" et de "copiner avec le Hamas et le terrorisme". Et de s'en prendre successivement au Parti socialiste qui "a dans ses rangs le plus grand nombre d'élus condamnés dans notre pays", aux "écolos et leurs maires condamnés pour favoritisme" et à La France insoumise "qui défend ceux qui cognent leurs femmes, les dealers, les fichés S".
"Vous osez parler des mauvais choix de l'Histoire. Vous êtes un parti qui a fait le choix de Vichy en 1940 et qui a été fondé par des anciens SS, qui depuis trois ans soutient la Russie de Vladimir Poutine ! Alors vos leçons d'être du bon côté de l'Histoire, vous pouvez les remballer !", a rétorqué Pierre Cazeneuve (EPR).
La séance s'est poursuivie par de nombreux rappels au règlement, jusqu'au vote des amendements de suppression de l'article unique et au choix d'Eric Ciotti de retirer son texte, pour passer à la mi-journée à la proposition de loi suivante de la journée d'initiative parlementaire du groupe UDR. Un texte "visant à renforcer les prérogatives des officiers de l'état civil et du ministère public pour lutter contre les mariages simulés ou arrangés".