Exécution provisoire de l'inéligibilité : le texte des députés UDR, qui veulent supprimer cette possibilité, rejeté en commission

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par Anne-Charlotte Dusseaulx, le Lundi 16 juin 2025 à 18:10, mis à jour le Lundi 16 juin 2025 à 20:40

La proposition de loi visant "à protéger l'effectivité du droit fondamental d'éligibilité", déposée par le président du groupe "Union des droites pour la République", Eric Ciotti, a été rejetée par la commission des lois de l'Assemblée nationale ce lundi 16 juin. Le texte - qui fait écho à la condamnation à propos de laquelle Marine Le Pen a interjeté appel -  sera débattu dans l'hémicycle le 26 juin, lors de la journée réservée aux propositions des députés UDR 

Moins de trois mois après la condamnation de Marine Le Pen à cinq ans d'inéligibilité avec exécution provisoire - décision de justice dont la triple candidate à l'élection présidentielle a fait appel - le sujet de l'application immédiate de cette inéligibilité, avant même le résultat recours, est revenu en débat à l'Assemblée nationale. En commission des lois ce lundi 16 juin, les députés ont en effet examiné une proposition de loi, déposée par Eric Ciotti et le groupe UDR, visant "à protéger l'effectivité du droit fondamental d'éligibilité".

"Comment comprendre qu’un droit si fondamental, si précieux dans une démocratie, puisse être retiré à un citoyen sans même attendre une décision de justice définitive ?", écrit l'allié de la présidente du groupe "Rassemblement national" dans l'exposé des motifs du texte, composé d'un article unique.

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Le soutien du Rassemblement national

Lors de la discussion en commission, la rapporteure Brigitte Barèges (Union des droites pour la République) a dénoncé une "dérogation véritable au principe traditionnel de droit pénal selon lequel le recours a un caractère suspensif". "Mon groupe et moi-même considérons que l'exécution provisoire constitue une atteinte disproportionnée à plusieurs principes fondamentaux du droit pénal", a poursuivi la députée du Tarn-et-Garonne, qui a évoqué son cas personnel. En 2021, l'élue, alors maire de Montauban, avait été déclarée inéligible avant d'être relaxée quelques mois plus tard.

"De telles peines constituent une atteinte à la présomption d'innocence" et ne peuvent "qu'influencer la liberté de choix de l'électeur", a également déclaré Brigitte Barèges (voir vidéo en tête d'article).  Avant d'ajouter : "En conférant un tel pouvoir au juge pénal, nous le faisons sortir de son office de garant de la liberté individuelle pour en faire un arbitre de la vie démocratique. Cela représente une véritable atteinte aux principes de séparation des pouvoirs."

Le groupe UDR a, sans surprise, reçu le soutien du Rassemblement national, par la voix du député Bryan Masson. A ses yeux, le vote de cette proposition de loi viendrait "corriger une anomalie juridique lourde de conséquences démocratiques". "En permettant qu'une peine complémentaire aussi grave que l'inéligibilité prenne effet immédiatement, notre droit crée une distorsion du jeu électoral, une forme bannissement politique anticipé", a-t-il déploré.

"Une déclaration d'allégeance" à Marine Le Pen, selon Prisca Thévenot

Les autres groupes de l'Assemblée nationale se sont opposés à cette proposition de loi. Prisca Thévenot (Ensemble pour la République) y a vu "une déclaration d'amitié, voire d'allégeance, taillée sur mesure pour Marine Le Pen". "L'extrême droite aime parler d'ordre de morale, d'exemplarité, mais quand ses propres responsables sont concernés, elle choisit l'exception, elle préfère l'impunité", a fustigée la députée. "Il n'est jamais bon de légiférer sous la pression des événements pour répondre à une affaire qui a défrayé la chronique", a affirmé Maud Petit (Les Démocrates), quand Agnès Firmin-Le Bodo (Horizons) s'est "interrogée sur la conformité" du texte, qui "vise une affaire judiciaire en cours". 

Sur les bancs de la gauche, la diatribe a également été vive. "Vouloir mettre en place un régime d'exception pour faire de Madame Le Pen une citoyenne au-dessus des autres est inacceptable", a lancé Gabrielle Cathala (La France insoumise). "Une nouvelle fois, l'extrême droite qui trouve la justice trop laxiste quand elle concerne le peuple, surtout s'il est arabe ou noir, la trouve trop dure quand elle la concerne eux et leurs amis", a renchéri Emmanuel Duplessy (Ecologiste et social). 

"Nous ne faisons pas l'exégèse du jugement rendu contre Marine Le Pen", a réagi Brigitte Barèges (UDR), défendant "un texte général pour éviter peut-être des conséquences très lourdes dans d'autres dossiers".

"Comment est-ce qu'on répare le fait de quelqu'un qui aurait pu être président de la République ne peut pas l'être parce que il n'a pas pu se présenter au suffrage ?" Olivier Marleix (Droite républicaine)

Seul Olivier Marleix (Droite républicaine) a considéré que la proposition de loi "pose le problème de l'absence possible de réparation". "Comment est-ce qu'on répare le fait de quelqu'un qui aurait pu être président de la République ne peut pas l'être parce que il n'a pas pu se présenter au suffrage ?", s'est questionné le député. Selon lui, "il apparaît en effet plus équilibré d'attendre le jugement en appel pour prononcer une peine d'inéligibilité".

Les amendements de suppression de l'article unique adoptés

Huit amendements avaient été déposés pour l'examen en commission, dont trois de suppression de l'article unique du texte. "Cette proposition de loi et son article unique méritent de terminer là où doit être sa vocation, c'est-à-dire à la poubelle", a déclaré Hervé Saulignac (Socialistes) en défendant le sien. "Les Français ne comprendraient pas que nous puissions épargner les élus de cette exécution provisoire, quand ils manifestent à l'évidence un déni de justice et ne paraissent pas prendre la mesure de la gravité des faits dont ils sont rendus responsables", a argumenté le député. L'amendement a été adopté par 19 voix "pour" et 18 "contre".

Un autre amendement porté, lui, par Bruno Bilde (Rassemblement national), dont l'objectif était "d'introduire une voie de recours autonome, sur le modèle de celle existant en matière civile, propre à permettre un réexamen rapide de la mesure d’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité", a été rejeté (18 voix "pour" et 20 "contre"). 

La proposition de loi ne contenant plus d'articles, après la suppression de l'article unique, aucun vote n'a été effectué sur l'ensemble du texte. "Il n'y a plus rien", a résumé, pour conclure, le président de la commission des lois, Florent Boudié (Ensemble pour la République). Comme le prévoit la procédure, le texte sera cependant examiné dans l'hémicycle jeudi 26 juin,  lors de la journée d'initiative parlementaire du groupe "Union des droites pour la République".