Budget 2026 : Et si le gouvernement avait quand même recours au 49.3 ?

Actualité
Image
Sébastien Lecornu à l'Assemblée nationale, le 15 octobre 2025. (image LCP) mk
Sébastien Lecornu à l'Assemblée nationale, le 15 octobre 2025. (image LCP)
par Anne-Charlotte DusseaulxStéphanie Depierre, Elsa Mondin-Gava, le Vendredi 28 novembre 2025 à 11:50

Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, l'a annoncé début octobre, répondant à une exigence du Parti socialiste : il n'utilisera pas l'article 49.3 de la Constitution pour faire passer les textes budgétaires à l'Assemblée nationale. Mais un vote en bonne et due forme, en particulier sur le budget de l'Etat, semble à ce point relever de la quadrature du cercle que certains commencent à évoquer l'idée d'un éventuel 49.3 de compromis. 

C'est la petite musique qui monte. Et si finalement, le gouvernement avait recours à l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter l'un de ses textes budgétaires ? Problème, le 3 octobre dernier, le Premier ministre, Sébastien Lecornu, avait annoncé "renoncer au 49.3" pour "laisser sa chance au dialogue". Il s'agissait d'une première concession faite à la gauche et, plus particulièrement, au Parti socialiste qui souhaitait que l'exécutif s'engage sur ce point. Difficile alors d'imaginer Sébastien Lecornu revenir sur sa parole deux mois plus tard.

Sauf que les semaines passent et que la fin de l'année approche... Or, pour que la pays fonctionne normalement, la France doit avoir un budget d'ici au 31 décembre, sauf à repartir comme fin 2024 sur une loi spéciale avant de faire aboutir un budget en bonne et due forme en début d'année prochaine. Pour certains députés croisés ces derniers jours dans les couloirs de l'Assemblée nationale, l'utilisation du 49.3 serait éventuellement envisageable, "si le PS le demande", selon les mots d'un député de la Droite républicaine spécialiste des discussions budgétaires. "Il faudrait que Boris Vallaud et Olivier Faure fassent une conférence de presse pour demander publiquement au Premier ministre de l'utiliser", renchérit un cadre du bloc central.

On ne peut pas demander le 49.3. Même si on a eu tort de réclamer [de ne pas y avoir recours]. Une députée socialiste

Changer d'avis sur le 49.3 ? "Nous serions juste ridicules", commente auprès de LCP un cadre du groupe Socialistes, pour qui cela semble "inenvisageable". Interrogée sur le sujet, une autre députée PS juge également impossible de faire ce pas… aujourd'hui : "On ne peut pas demander le 49.3. Même si on a eu tort de réclamer [de ne pas y avoir recours]". Du côté de l'Elysée, on voit mal en effet comment les socialistes pourraient aller dans ce sens. Ils "ont demandé ces règles. Ce serait paradoxal de dire 'on veut le pouvoir’, puis 'on s'en dessaisit’", estime un conseiller d'Emmanuel Macron

Pour autant, mercredi 26 novembre sur BFMTV, l'ancien président de la République, François Hollande, redevenu député, indiquait qu'à ses yeux, "il ne faut jamais se priver d'une disposition constitutionnelle". "Nous verrons bien (...), c'est trop tôt pour le dire", complétait-il.

Lecornu s'est "très clairement engagé à ne pas l'utiliser"

Au sein du bloc central, plusieurs élus soulignent que c'est parce que le Premier ministre a renoncé à utiliser l'article 49.3 – qui permet de faire passer un texte sans vote à l'Assemblée nationale, sauf adoption d'une motion de censure qui a pour effet de faire tomber le gouvernement – qu'un dialogue a pu se nouer et que les textes budgétaires ont pu avancer. "Le 49.3, c'est ce qui fait que le PS commence à accepter la discussion", explique, le regard dans le rétroviseur, un député du groupe Ensemble pour la République. Un ministre ne dit pas autre chose : "Si vous ne mettez pas le 49.3 dans la balance, vous n'en êtes pas là. C'est un luxe de pouvoir se poser cette question aujourd'hui."

Mais au-delà du processus qui a été enclenché et des efforts de compromis, réunir une majorité pour faire voter un budget semble à ce stade encore bien difficile, voire impossible. D'où la résurgence d'une réflexion sur le 49.3. Ne pas voter la censure sur un texte qui tiendrait compte des débats parlementaires étant considéré comme moins difficile pour un groupe d'opposition que de voter le texte lui-même. Cependant, pour l'heure, personne n'ose officiellement acter la possibilité d'un retour à cet article de la Constitution, les uns et les autres préférant insister sur la nécessité de parvenir à des compromis qui aboutiraient à l'adoption du projet de loi de financement de la Sécurité sociale et du projet de loi de finances de l'Etat. 

Mercredi, à l'issue du Conseil des ministres, la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, a réaffirmé que Sébastien Lecornu s'était "très clairement engagé à ne pas utiliser le 49.3, pas uniquement pour faire plaisir aux socialistes", mais pour laisser le Parlement bâtir un budget. "Il n'y a pas d'alternative au compromis parlementaire", a-t-elle insisté, écartant toutes les autres hypothèses qu'il s'agisse du 49.3, de la loi spéciale, ou encore des ordonnances.

"Ce serait quand même un vrai désastre que de voir un Parlement qui, pour la première fois depuis 1958, a la possibilité de travailler en liberté, sans 49.3, n'arrive pas à accoucher d'un budget", déclarait de son côté le député et premier secrétaire du PS, Olivier Faure, cette semaine sur FranceInfo. Et d'ajouter : "On va y arriver".

Un "chemin" pour voter le budget de la Sécu ?

A ce stade, au sein des groupes qui veulent que les discussions aboutissent, nombreux sont ceux qui estiment qu'il y a "un chemin" pour faire adopter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), qui revient en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale à partir de ce samedi en commission, puis à partir de mardi dans l'hémicycle. Comprendre : qu'au moment du vote, les concessions accordées aux uns et aux autres notamment la suspension de la réforme des retraites ou encore le dégel des pensions permettront d'obtenir davantage de voix "pour" que de voix "contre". 

On ne peut pas avoir le résultat du match sans avoir joué. Pour jouer, il faut un ballon ; là le ballon revient. Un député Droite républicaine sur le PLFSS

"Nous n'envisageons pas au moment où je vous parle de vote [pour] sur le PLFSS. On a dit dès le départ qu'on cherchait un chemin pour s'abstenir. Nous n'avons même pas encore tout ce qu'il faut pour s'abstenir, alors un vote pour…", explique un responsable socialiste, en évoquant notamment comme facteur bloquant la hausse des franchises médicales. Or, un vote des députés PS en faveur du budget de la Sécu ne suffirait peut-être même pas si les députés Horizons et Droite républicaine, échaudés par les concessions faites à la gauche, s'abstenaient ou votaient contre.

Ce qui est sûr, c'est que le Rassemblement national et son allié l'Union des droites pour la République, ainsi que La France insoumise, s'opposeront au PLFSS. Ces trois groupes représentent 210 voix dans l'hémicycleIl faudra en trouver au moins une de plus pour voir le texte adopté. Que feront les groupes Ecologiste et social, Gauche démocrate et républicaine, ou encore Libertés, indépendants, Outre-Mer et territoires ? Dans une Assemblée nationale sans majorité, même relative, chaque voix comptera. 

Et un spécialiste du budget de la Sécu, membre de l'ex-socle commun (ex-majorité présidentielle et droite) de filer la métaphore sportive : "Personne n'a écrit le scénario. On ne peut pas avoir le résultat du match sans avoir joué. Pour jouer, il faut un ballon ; là le ballon revient." Alors que la seconde mi-temps de la séquence budgétaire va commencer à l'Assemblée nationale, le résultat est incertain. 

Et pour le budget de l'Etat ?

Et l'issue est encore plus incertaine pour le projet de loi de finances (PLF), actuellement examiné au Sénat. Le chemin semble même plus escarpé que pour le PLFSS, ce qui fait dire à certains qu'une loi spéciale semble être l'issue la plus probable. Ce qui aurait pour conséquence une reprise des débats sur le budget de l'Etat en début d'année prochaine, à quelques semaines seulement des élections municipales. Sauf... si le 49.3 faisait son retour ? "Je me suis laissé dire que Sébastien Lecornu pourrait utiliser le 49.3 à condition que le PS lui demande officiellement et évidemment garantisse de ne pas voter la censure qui suivra", a écrit sur X mercredi le président de la commission des finances, Eric Coquerel (La France insoumise).

Certains imaginent en effet qu'il serait plus facile pour les socialistes de ne pas censurer le gouvernement, après l'engagement de sa responsabilité par le 49.3, que de voter le PLF. L'utilisation de cet article permettant au gouvernement de retenir les amendements de son choix dans le texte, ce qui fait germer l'idée d'une sorte de 49.3 de compromis. "Au mieux, il faudrait qu'en coulisse le PS dise 's'il y a 49.3, on ne censure pas", imagine un député influent du groupe Ensemble pour la République. 

Ça se terminera en 49.3, vous pouvez déjà l'écrire. Un cadre d'Horizons

Sauf qu'avoir recours à cet article risque aussi d'avoir un coût dans l'opinion publique. "Depuis la loi El Khomri, le 49.3 est perçu comme antidémocratique", note le conseiller élyséen déjà cité plus haut. Entre octobre 2022 et décembre 2023, Elisabeth Borne, alors Première ministre, l'avait utilisé à 23 reprises. "La grande frustration autour du 49.3, c'est qu'il arrivait en début d'examen [des textes budgétaires], empêchant de débattre. S'il est utilisé à la fin de l'examen, ça n'a rien à voir", considère cependant un député Droite républicaine. Pour l'ex-rapporteur général du budget Charles de Courson (LIOT), "si on explique [pourquoi on y a recours], les Français peuvent comprendre". "Ça se terminera en 49.3, vous pouvez déjà l'écrire", estime quant à lui un cadre du groupe Horizons, qui l'envisage plutôt pour début 2026, après une loi spéciale en fin d'année.

Le président du groupe Les Démocrates, Marc Fesneau, plaide, lui, pour un 49.3 comme "outil du consensus et du compromis, plutôt que de la coercition". "Personne ne veut la paternité de ce texte. A quel moment cet outil permet d'acter ce qui fait l'objet du compromis ?", s'interrogeait-il la semaine dernière devant l'Association des journalistes parlementaires. Avant d'ajouter : "Cela ne marche que s'il est acceptable par tous et qu'il arrange tout le monde." La difficulté est là.