"Aide à mourir" : "Le mot euthanasie a été souillé par l'Histoire et nous n'en voulons pas", déclare Olivier Falorni

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par Anne-Charlotte Dusseaulx, le Samedi 17 mai 2025 à 05:05, mis à jour le Samedi 17 mai 2025 à 05:15

Les députés poursuivent, ce samedi 17 mai, l'examen de la proposition de loi relative au "droit à l’aide à mourir". Lors du débat sur le texte, entamé la veille au soir, ils ont adopté l'article 1er, les orateurs réaffirmant des convictions, parfois divergentes, au sein de mêmes groupes politiques. Les amendements de suppression de l'article 2 - qui définit le "droit à l'aide à mourir" - ont été rejetés. 

Le débat a commencé. Après avoir terminé l'examen de la proposition de loi portant sur les soins palliatifs, les députés ont débuté, vendredi 16 mai au soir, en première lecture dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, l'examen de celle visant à créer un "droit à l'aide à mourir". Et si une discussion générale, commune aux deux textes, avait déjà eu lieu lundi 12 mai, chacun a souhaité, à l'ouverture des travaux, réaffirmer sa position sur le sujet. Plus de 2 600 amendements ont été déposés sur la proposition de loi qui est inscrite à l'ordre du jour du Palais-Bourbon jusqu'au dimanche 25 mai inclus. Vendredi soir, les échanges ont essentiellement porté sur la définition du terme "prendre soin" et sur le débat sémantique autour des mots et des notions : "aide à mourir", "euthanasie" et "suicide assisté".

Cette proposition de loi "constitue une rupture de soin, une rupture éthique, une rupture anthropologique, une rupture médicale et une rupture sociale", a lancé le député Christophe Bentz (Rassemblement national) qui a défendu l'un des amendements de suppression de l'article 1er - tous ont été rejetés - qui modifie le code de la santé publique. "Nous vous proposons une chose simple : de rester à la politique de développement des soins palliatifs (...), les seuls qui puissent préserver l'espoir de la vie", a-t-il complété, affichant un souci de "protection de la vie à tout prix".

Egalement opposé au texte, Philippe Juvin (Droite républicaine) a appelé à "fonder une société du soin" plutôt qu'une "société où la compassion pourrait se résumer à fournir la mort sur demande". "Les critères utilisés vont bien au-delà de la fin de vie", a-t-il affirmé. Contestant l'expression "droit à l'aide à mourir", il a estimé que l'absence dans la proposition de loi des termes "euthanasie et suicide assisté" qui correspondent, selon lui, mieux à la réalité du texte "pose un vrai problème". 

Dans leurs interventions, ses collègues de groupe n'ont pas dit autre chose. Patrick Hetzel (DR) a déploré qu'un "interdit va être franchi", ajoutant que "le dernier acte de soin doit être un soin et en aucun cas il ne peut être de donner la mort""La mort provoquée a-t-elle à voir avec le soin ?", a renchéri Thibault Bazin (DR), pour qui "provoquer la mort par administration d'une substance létale ne peut pas être un soin".

Une loi que les Français "attendent" pour ses partisans, une loi "hâtée" selon ses opposants

Du côté des défenseurs de l'instauration d'un droit à l'aide à mourir, Hadrien Clouet (La France insoumise) a soutenu "un texte profondément républicain", développant les notions de liberté, d'égalité et de fraternité qu'il recouvre à ses yeux. "On n'est pas libre quand les autorités morales supérieures décident de notre existence, de notre droit à y mettre un terme", a-t-il notamment déclaré, poursuivant à l'intention de ses collègues parlementaires : "La vie est belle lorsque l'on n'a pas peur de la mort, donc allons-y."

Revenant sur les arguments des opposants à l'aide à mourir, Sandrine Rousseau (Ecologiste et Social) a récusé qu'il s'agisse d'une "loi de vocabulaire", y voyant, elle, une loi "d'un nouveau droit, d'un nouveau choix", qui ne revêt "aucune obligation ni pour les uns ni pour les autres d'y recourir, mais la liberté de pouvoir choisir". Et de plaider que le moment est venu de légiférer : "C'est une loi qui a été retardée de mille et une manières dans cet hémicycle (...). C'est une loi que 90% des Français attendent". 

Une conviction et une analyse loin d'être partagées par tous. Dans l'hémicycle vendredi soir, Charles Sitzenstuhl (Ensemble pour la République)  qui ne "défendra jamais une telle vision de la société"  a vivement critiqué une loi "hâtée, précipitée, accélérée par les défaillances condamnables de l’Etat dans la gestion des soins palliatifs et dans l'application des diverses lois adoptées depuis une vingtaine d'années sur ce sujet". 

Un texte sur lequel les groupes politiques ne donnent pas de consignes de vote

Sur un tel sujet, qui touche aux convictions et à l'intime, la liberté de vote sera totale, les groupes parlementaires n'ayant pas donné de consignes de vote. Et très vite dans l'hémicycle, des nuances, des différences, des divergences, sont apparues entre députés de mêmes groupes. Ainsi, contrairement à Charles Sitzenstuhl, son collègue Michel Lauzzana (Ensemble pour la République) a rappelé que "ce n'est pas une loi qui a été improvisée à la dernière minute". Lui, est favorable à l'adoption d'"un nouveau droit qui n'enlève rien aux autres" et qui n'est pas "une obligation". "Prendre soin de quelqu'un, c'est aussi l'écouter dans ses demandes", a-t-il considéré, renvoyant les opposants au texte à l'une de leurs expression : "Rupture anthropologique ? C'est quoi ces grand mots qui ne veulent rien dire ?!"

A gauche, c'est Dominique Potier (Socialistes), minoritaire au sein de son groupe, qui a assumé sa divergence de vue. "Je ne peux pas m'exprimer qu'en tremblant, en hésitant sur ces sujets-là", a-t-il ainsi indiqué, avant de développer sa pensée : "La liberté ici, telle qu'elle est posée dans la loi, est une fiction libérale", a-t-il estimé, ajoutant "qu'à gauche, on peut être contre l'euthanasie, pour des raisons de gauche" et souhaitant voir défendue la loi Claeys-Leonetti, qualifiée de "trésor".

"Notre collègue Monsieur Potier a exprimé sa position, mais ça [n'est] pas celle du groupe socialiste", a souligné quelques minutes Océane Godard (PS). S'offusquant de termes "trop entendus" chez les adversaires de la proposition de loi, elle a tenu à répliquer : "Pardon, mais non. Cette loi ne donne pas la mort, ce n'est pas n'importe quoi."

"Il y a des mots qui ont de belles étymologies", mais...

C'est, peu avant minuit, au début des échanges sur l'article 2, qui porte sur la définition du "droit à l'aide à mourir", que le rapporteur général du texte, Olivier Falorni (Les Démocrates), a pris la parole pour dire fermement sa position sur le débat sémantique. Les opposants à l'aide à mourir s'indignant que les termes "euthanasie" et "suicide assisté", qui disent selon eux mieux ce qu'ils veulent empêcher, il a expliqué son refus de ces expressions et émis un avis défavorable concernant les amendements de l'article 2, qui ont tous été rejetés. 

Si nous ne voulons pas utiliser le mot euthanasie, c'est parce que ce mot a été souillé par l'Histoire. Les nazis ont souillé ce terme. Et nous n'en voulons pas. Olivier Falorni (Les Démocrates)

"Il y a des mots qui ont de belles étymologies", mais "il y a des mots souillés par l'Histoire", a-t-il lancé, à propos du terme euthanasie "utilisé à partir d'octobre 1939 par Hitler". "Les nazis ont souillé ce terme, et nous n'en voulons pas", a martelé Olivier Falorni dans l'hémicycle de l'Assemblée. Quant à l'expression "suicide assisté", il "crée une confusion avec le combat que nous menons pour la prévention du suicide", a-t-il expliqué.  

"Vous m'avez en partie convaincu. Le terme euthanasie a été souillé par l'Histoire. Factuellement, vous avez raison", a répondu Christophe Bentz (Rassemblement national), appelant en conséquence à se replier sur les expressions "suicide assisté" ou "suicide délégué". "Euthanasie, nous ne parlons que de cela, mais il est interdit de prononcer les mots", a pour sa part déploré Philippe Juvin (Droite républicaine). 

Présente au banc du gouvernement, la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, a souhaité mettre en avant une autre distinction avec l'euthanasie, celle de l'auto-administration. Le gouvernement veut en effet rétablir la rédaction initiale de la proposition de loi, modifiée en commission, qui prévoyait que l'auto-administration de la substance létale était la règle et qu'elle ne pouvait être faite par un professionnel de santé que dans certains cas. Le Conseil d'Etat a indiqué que l'expression "aide à mourir" n'appelait "aucune objection de sa part", a-t-elle aussi rappelé, tout en interrogeant : "Qui dans cet hémicycle peut ne pas vouloir entendre la demande d'un certain nombre de nos concitoyens, alors même que nous sommes incapables en l'état actuel de la science, de répondre à des souffrances réfractaires ?"

Vendredi soir, peu après minuit, à l'interruption de séance, l'article 1 de la proposition de loi avait été votée par 84 voix contre 45. Et les amendements de suppression de l'article 2 rejetés, par 85 voix contre 39. Les débats reprendront ce samedi 17 mai à partir de 9 heures. Alors que l'examen du texte sur le droit à l'aide à mourir ne fait que commencer, deux votes solennels sont, à ce stade, programmés le 27 mai. L'un sur cette proposition de loi, l'autre sur la proposition de loi relative aux soins palliatifs.