Bilan de la nouvelle Assemblée : Les débuts mouvementés de la 16ème législature

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L'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 28 juin 2022
L'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 28 juin 2022 (Christophe ARCHAMBAULT / AFP)
par Raphaël Marchal, le Jeudi 4 août 2022 à 20:02, mis à jour le Jeudi 4 août 2022 à 20:16

La recomposition politique qui a suivi les dernières élections législatives a bousculé le fonctionnement de l'Assemblée nationale. L'exécutif doit apprendre à composer avec sa majorité relative et avec des oppositions renforcées. L'examen des premiers textes à l'Assemblée a offert un aperçu riche du quinquennat à venir.

20 ans. Cela faisait 20 ans, sans exception, que les parlementaires étaient conviés à siéger dès le mois de septembre lors d’une session extraordinaire. Mais pas cette année, où l'exécutif a préféré temporiser après un début de 16ème législature particulièrement intense. La reprise aura lieu la semaine du 3 octobre avec le début de la session ordinaire, un choix qui illustre bien le basculement du fonctionnement de l'Assemblée, un mois et demi après l'électrochoc des élections législatives, où le camp d'Emmanuel Macron n'a obtenu qu'une majorité relative.

La pause estivale est l’occasion de tirer un premier bilan de la recomposition politique et de ses conséquences sur la vie du Palais-Bourbon, et de la recherche d'une "nouvelle méthode" voulue par la majorité, confrontée à ses premiers revers dès les premières semaines de la nouvelle législature, ainsi qu'à des oppositions plus fortes que jamais. Avant la pause estivale, trois textes majeurs ont toutefois été définitivement adoptés : le projet de loi sur le pouvoir d'achat, le budget rectificatif et le projet de loi sanitaire. Le pays n'est donc pas ingouvernable, comme certains avaient pu l'avancer en juin dernier. "C'est une vraie victoire politique", observe Robin Réda (Renaissance), qui se félicite d'avoir pu trouver des compromis.

Des textes consensuels

Pour débuter cette nouvelle ère, l'exécutif avait donc décidé de faire passer en priorité des textes qu'il pensait techniques, ou a minima consensuels, afin de confronter les oppositions à leur volonté affichée de participer à la co-construction des réformes. Dès l'examen du premier projet de loi sanitaire, aux mesures beaucoup plus légères que celles contenues dans les lois précédentes, le gouvernement a compris qu'il y aurait fort à faire pour faire avancer ses réformes. Non contents de supprimer le passe sanitaire aux frontières, les députés de l'opposition ont saisi cette occasion pour critiquer la gestion passée du Covid-19.

Rebelote concernant l'examen des mesures pour le pouvoir d'achat : les oppositions, Nupes en tête, vitupèrent contre un texte trop insignifiant à leurs yeux, regrettant la politique de petits pas opérés par le camp d'Emmanuel Macron. Contre l'avis du gouvernement, les députés ont d'ailleurs adopté plusieurs amendements menaçant de dangereusement alourdir la facture, initialement estimée à 20 milliards d'euros. Le tout au bout de séances prolongées, éreintantes, qui ont pu courir jusqu'à l'aube, au grand dam d'un Aymeric Caron (LFI) publiquement soutenu par Charles Sitzenstuhl (Renaissance).

LFI responsable d'une intervention sur quatre

Il n'en fallait pas plus pour que la majorité critique l'attitude de la Nupes, sur le fond comme sur la forme. "Un vrai dévoiement démocratique", a soufflé le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, agacé par la séance "interminable" du 25 juillet au soir. "De l'obstruction", tranche Robin Réda, qui dénonce le ton "virulent, parfois violent" des élus LFI. "On n'a pas besoin de répéter les choses de manière toujours plus véhémente simplement pour faire des capsules sur les réseaux sociaux."

Du côté de l'aile gauche de l'hémicycle, on conteste toute volonté d'obstruction parlementaire. "On reprochait à Jaurès d'être Jaurès, aux sans-culottes d'être sans-culottes", rétorque Antoine Léaument (LFI), pour qui ces accusations, comme les débats annexes comme celui portant sur la tenue des députés, ne sont qu'un moyen de détourner l'attention pour éviter de débattre des propositions de fond émanant de la Nupes. "Ce sont vraiment des manœuvres dilatoires, on parle d'autre chose, ça fait du blabla, et à la fin les mecs ne sont même plus là pour défendre leurs amendements."

Selon les données recueillies par le site NosDéputés.fr, les élus LFI sont intervenus près de 2 200 fois au cours du premier mois d'activité de l'Assemblée. Soit une prise de parole sur quatre, alors qu'ils ne sont que 12,8 % des députés. En revanche, ils sont auteurs de seulement 13 % de l'ensemble des amendements déposés, la palme revenant aux députés Les Républicains (36,3 % des amendements). Or, en séance publique, c'est bien la discussion de ces amendements qui reste la tâche la plus chronophage, chacun des groupes ayant l'occasion de débattre de la proposition.

Le paradoxe des LR

Laminés lors de l'élection présidentielle, Les Républicains ont réussi à circonscrire les dégâts lors des élections législatives quelques semaines plus tard, en conservant un groupe de 62 députés. Tout en limitant les exodes – remarqués – vers le camp d'Emmanuel Macron. Si sa force s'est largement étiolée en 15 ans, si la maison-mère connaît une crise de succession et fait face au défi de la reconstruction, le groupe conserve, paradoxalement, un rôle central à l'Assemblée.

Et pour cause : il permet à lui seul au camp présidentiel d'obtenir la pleine majorité lors d'un scrutin. Son opposition au passe sanitaire aux frontières, qui avait abouti à la suppression de l'article 2 du projet de loi sanitaire, a sonné comme un avertissement. Depuis, les députés LR font valoir leur volonté de participer à la co-construction des réformes, comme cela a pu être le cas lors du compromis trouvé avec l'exécutif sur le prix des carburants, tout en revendiquant leur pleine appartenance à l'opposition. Une "ligne de crête", reconnaît Pierre-Henri Dumont (LR). "Mais qui a été facile à tenir durant ce premier mois, car notre seul objectif était d'améliorer le pouvoir d'achat des Français", rapporte l'élu du Pas-de-Calais.

La position de la droite à l'Assemblée est renforcée par son hégémonie au Sénat ; lors des négociations communes sur un texte, à l'issue de la navette parlementaire, LR et majorités parlementaires se retrouvent sur un pied d'égalité. De fait, la droite devient un partenaire incontournable pour la majorité, et a réussi à imposer plusieurs mesures d'ampleur dans les versions des textes finalement retenues, aussi bien concernant le projet de loi sanitaire que pour les mesures pour le pouvoir d'achat. "Nous ne sommes pas des faiseurs de roi, tempère Pierre-Henri Dumont, pas quand on perd de nombreux députés législature après législature". "La majorité s'habille avec la droite et avec la droite", constate pour sa part Arthur Delaporte (Socialiste), qui fait part de sa "déception" quant à la tournure prise par les événements.

Pierre-Henri Dumont, lui, préfère définir son camp comme "l'opposition responsable", renvoyant les deux extrêmes de l'hémicycle dos à dos. "Qu'ont obtenu les députés de LFI et du RN depuis un mois ? Rien. Avoir fait porter leur cravate à des élues pour les uns, avoir fait claquer leur pupitre pour les autres. Leur bilan est donc nul."

Le RN en quête de respectabilité

Après l'arrivée massive de 89 élus du Rassemblement national, Marine Le Pen avait prévenu : professionnalisme exigé. Dans les tenues – cravate obligatoire pour les hommes – comme dans l'attitude. Après la "dédiabolisation", doit venir le temps de l'institutionnalisation. Pari tenu, au bout de quelques semaines ? "Notre bilan est très bon", se félicite Kévin Mauvieux. "On est l'un des groupes les plus présents, observe l'élu de l'Eure, et on vote tout ce qui va dans le bon sens, que ça vienne de nous, ou pas". De fait, les députés RN ont voté certaines mesures ciblées du projet de loi pouvoir d'achat, avant de voter le texte dans son ensemble, tout en le jugeant insuffisant. Impensable au cours de la précédente législature, où les 8 élus RN votaient même contre les lois sécuritaires et anti-terroristes.

"Ce n'est pas parce qu'on met une cravate qu'on a abandonné ses idées abjectes", réagit Arthur Delaporte. Pour l'élu socialiste, de rares députés RN prennent la parole et captent la lumière depuis le début de la législature, la grande majorité préférant rester silencieuse. "Ils préfèrent se taire plutôt que prendre la parole et dire des bêtises", persifle-t-il, déplorant en outre que les élus RN claquent régulièrement leur pupitre pour manifester leur mécontentement. "Le RN porte un projet de division très éloigné des valeurs fondamentales de la République", appuie Pierre Dharréville (PCF).

Kévin Mauvieux regrette que les élus de la Nupes soient complètement fermés à l'idée de voter en faveur d'amendements du Rassemblement national, même lorsqu'ils s'agit de bonnes propositions. "Ils sont bornés", commente-t-il. De fait, dans le sens inverse, les députés de Marine Le Pen ont pu voter pour des amendements issus des rangs de la gauche, faisant mathématiquement pencher la balance. "Ils font ce qu'ils veulent de leur vote", relève Antoine Léaument (LFI), qui refuse de "donner des points politiques à l'extrême droite".

Une attribution des postes qui vire à l'affrontement

Cette confrontation entre les deux versants de l'hémicycle s'est observée lors de la distribution des postes de l'Assemblée, plus politique que jamais du fait de la recomposition du paysage. Certaines candidatures ayant parfois viré aux coups de billard à trois bande. Si la présidence de l'Assemblée nationale est revenue, sans véritable suspense ni remous, à Yaël Braun-Pivet (Renaissance), l'attribution de deux postes de vice-présidence au Rassemblement national a été vilipendée par les élus de la Nupes.

C'est l'élection de la présidence de la commission des Finances, la seule à revenir traditionnellement à l'opposition, qui a généré le plus de friction, RN comme LFI se disputant le leadership de l'opposition. En l'absence des élus de la majorité, qui n'ont, comme de coutume, pas pris part au vote, c'est finalement l'expérimenté insoumis Éric Coquerel qui l'a emporté. 

Le fonctionnement des commissions bouleversé

Ce n'était pas un point forcément évident de prime abord ; mais le rééquilibrage des forces à l'Assemblée a également un impact sur le fonctionnement des commissions permanentes. Ces dernières sont en effet perturbées par le va-et-vient des élus, sommés de prendre part à des votes en séance publique, souvent organisée dans le même temps. Pour quelques minutes, à l'approche d'un point crucial, on sonne le rappel pour éviter ou favoriser l'adoption d'un amendement surprise ou d'un article.

Cette pratique s'est généralisée dès l'examen du projet de loi sanitaire. Elle s'est poursuivie durant l'examen des textes sur le pouvoir d'achat, donnant notamment lieu à une scène assez théâtrale, au cours de laquelle des députés de la majorité se précipitent dans l'hémicycle pour participer à un vote en "assis-debout", sous les quolibets de l'opposition.

Vers la construction d'une "nouvelle méthode"

Fort de ces premiers enseignements, chacun des camps va pouvoir se retirer et procéder à l'analyse de ces premières semaines d'activité. La période de latence de septembre doit permettre aux députés de passer davantage de temps dans leur circonscription, mais surtout de trouver une nouvelle méthode de travail, comme l'a confirmé Franck Riester. "En l'absence d'une session extraordinaire, les parlementaires vont pouvoir travailler en amont des textes", a plaidé le ministre chargé des Relations avec le Parlement. Du côté de l'exécutif, on promet des textes plus courts, et davantage de pédagogie envers les différentes forces en présence.

Les propositions de l'ensemble des groupes sur la construction de cette nouvelle méthode de travail sont attendues à la mi-septembre par la présidente de l'Assemblée. Yaël Braun-Pivet organisera par la suite des réunions de travail, afin de formaliser cette méthode, qui sera présentée au gouvernement pour validation. Sans que cette évolution tant promise ne déchaîne l'enthousiasme au sein de l'opposition. "La bête est blessée", ironise Antoine Léaument, qui juge que "vouloir faire passer des textes plus vite n'est pas une nouvelle méthode". " Même son de cloche pour Benjamin Lucas (Écologiste) : "Le parlementarisme vit du choc des idées. On n'est plus une chambre d'enregistrement." Le calendrier est connu. Les textes de loi à venir, aussi. La méthode, elle, reste à peaufiner.