Le 9 juin 2024, au soir du résultat des élections européennes, Emmanuel Macron a surpris les Français en décidant de dissoudre l'Assemblée nationale. Mais à l'issue des législatives anticipées de l'été dernier, aucune majorité de n'est dégagée des urnes. Une situation inédite depuis le début de la Ve République. Quel impact sur la vie du pays et sur le fonctionnement de l'Assemblée nationale ? Un an après la dissolution, les députés font le bilan.
C'était il y a un an, tout juste. Le 9 juin 2024, au soir des élections européennes, Emmanuel Macron annonçait la dissolution de l'Assemblée nationale, une "décision grave, lourde", mais "un temps de clarification indispensable", expliquait alors le président de la République à la télévision, en convoquant des élections législatives anticipées. La suite ? Le scrutin a eu lieu les 30 juin et 7 juillet. Aucune force politique n'a obtenu la majorité et, avec pas moins de onze groupes parlementaires, l'hémicycle est plus morcelé - et divisé - que jamais. La dissolution "n'a pas été comprise", a d'abord estimé le chef de l'Etat début décembre, après la chute du gouvernement Barnier. Elle a "produit plus d'instabilité que de sérénité", a-t-il ensuite reconnu le 31 décembre dans ses vœux aux Français.
Un an plus tard, qu'en pensent les députés ? Dans les couloirs de l'Assemblée nationale, les critiques pleuvent. "C'est une année d'enlisement", déplore François Ruffin (Ecologiste et social), en listant les "défis sérieux à résoudre", fiscal, démographique, écologique. "Or, sur tout ça, on ne travaille pas", estime le député de la Somme, qui ajoute : "Quand Emmanuel Macron disait qu'il avait dégoupillé une grenade dans les pattes des partis ; en vérité, il a dégoupillé une grenade dans les pattes du pays, de la démocratie." Croisé en fin de semaine, salle des Quatre-Colonnes, Sébastien Chenu (Rassemblement national) ne dit pas autre chose. Pour le député du Nord, "le président de la République a bloqué le pays". "La réalité, c'est qu'en dissolvant l'Assemblée nationale, il a mis le pays à l'arrêt", avec "un Parlement incapable de dégager des majorités pour voter des grands textes", dénonce-t-il.
La dissolution, j'ai tendance à dire que c'est une arme nucléaire. Il y a des radiations et ça fait mal. Vincent Jeanbrun (Droite républicaine)
Si les législatives anticipées lui ont permis d'accéder à la députation, lorsqu'il "dézoome et dépasse [son] cas personnel", Vincent Jeanbrun (Droite Républicaine) parle d'une décision "brutale", qui a abouti à une "Assemblée relativement défaillante", "quasi improductive". "La dissolution, j'ai tendance à dire que c'est une arme nucléaire. Il y a des radiations et ça fait mal", compare-t-il.
"Vous ne trouverez pas beaucoup de personnes qui vont défendre [la dissolution]", admet Pierre Cazeneuve (Ensemble pour la République). Lui, en fait partie. "Non pas que c'était une bonne idée, parce qu'elle n'a pas été couronnée de succès, on va dire ça comme ça", nuance le député des Hauts-de-Seine, élu en 2022. Mais parce qu'on "ne peut pas reprocher à un président de la République d'avoir donné la parole aux Français, d'avoir tenté de débloquer une situation avec cet électrochoc". "Ce n'est jamais une mauvaise chose que de consulter les Français. Et ils se sont exprimés massivement", renchérit son collègue de groupe Mathieu Lefèvre (EPR), qui préfère distinguer le choix du chef de l'Etat de "l'incurie des formations politiques qui ne sont pas capables de se mettre d'accord pour le bien du pays".
En juillet 2024, les Français s'étaient massivement déplacés aux urnes : la participation avait atteint 66,63%, un record depuis 1997. A l'issue du second tour, l'ancienne majorité présidentielle était arrivée deuxième (avec 150 députés), derrière le Nouveau Front populaire (178), tandis que le Rassemblement national, allié à l'Union des droites pour la République, était troisième (141), et que Les Républicains étaient arrivés en quatrième position (39). Finalement, les groupes de l'ex-majorité présidentielle (Renaissance, MoDem, Horizons) et Les Républicains avaient formé le "socle commun" (189 députés), permettant à Emmanuel Macron de nommer Michel Barnier à Matignon.
Ne pas avoir nommé un Premier ministre issu du Nouveau Front populaire. Pour la présidente du groupe "Ecologiste et social", Cyrielle Chatelain, c'est "la blessure première" de la situation actuelle, qui a été aggravée, à ses yeux, par la "longue dérive en cours du bloc central vers l'extrême droite", alors "qu'ils ont été élus grâce au barrage républicain". "C'est le grand écart absolu !", cingle-t-elle, amère. "L'erreur, pour le président de la République, ça a été de ne pas tester. On n'aurait peut-être pas tenu trois mois, je ne sais pas, mais au moins, on n'aurait pas donné le sentiment aux Français de leur avoir volé quelque chose", juge aussi la Christine Pirès-Beaune (Socialistes). Il y a quelques semaines, un député du groupe "Ensemble pour la République" confiait à LCP : "La vérité est que les Français n'ont pas voté pour nous mettre au pouvoir."
Croire qu'en changeant seulement la composition de l'Assemblée, ça changerait la manière de fonctionner était une erreur. Cyrielle Chatelain (Ecologiste et social)
Sauf qu'un an après, la situation est désormais celle-là. Malgré les appels initiaux du Président à "travailler ensemble", l'Assemblée nationale avance difficilement, au gré de coups de procédure. "J'ai le sentiment qu'on est une classe politique pas suffisamment mature, et je m'inclus dedans, pour passer d'une culture du conflit à une culture du compromis", analyse Mathieu Lefèvre (Ensemble pour la République), qui déplore que "chacun soit dans son couloir de nage", l'élection présidentielle de 2027 en ligne de mire, mais que "dans le fond, peu de formations pensent à la maison France". "Croire qu'en changeant seulement la composition de l'Assemblée nationale, ça changerait la manière de fonctionner était une erreur", estime Cyrielle Chatelain (Ecologiste et social), pour qui "tant qu'on sera dans un système pyramidal où le rapport de forces entre le gouvernement et l'Assemblée est en faveur du premier, ça ne marchera pas".
Elle plaide, notamment, pour rendre obligatoire le vote de confiance après la nomination d'un Premier ministre, et reprend l'adage : "Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités." Comprendre, que, selon elle, si les pouvoirs du Parlement étaient renforcés, les députés seraient davantage tenus par la nécessité de faire des compromis. "Ce qui est difficile, c'est qu'on sent bien que comme on est dans des logiques minoritaires, chacun essaie de tirer la couverture à lui. Et qu'au fond, il y a une vraie gabegie, une vraie perte d'efficacité", reconnaît Vincent Jeanbrun (Droite républicaine).
Quand les caméras ne sont pas braquées, et que ça se dépolitise un petit peu, on arrive à trouver plus facilement le chemin du consensus et du dialogue. Pierre Cazeneuve, député EPR
De son côté, Pierre Cazeneuve (Ensemble pour la République) voit quand même des "points positifs" à cette nouvelle configuration nationale. D'abord, "notre capacité à travailler avec le Sénat", loin de la "compétition stérile" qui pouvait avoir lieu par le passé entre les deux Chambres du Parlement. Ensuite, les initiatives transpartisanes au Palais-Bourbon. "Quand les caméras ne sont pas braquées, et que ça se dépolitise un petit peu, on arrive à trouver plus facilement le chemin du consensus et du dialogue. On se parle entre députés", assure-il. Enfin, l'entrée des Républicains "dans une logique de gouvernement, même si la cohabitation est toujours semée d'embûches", ce que n'a, "malheureusement", pas fait le Parti socialiste.
De quoi faire réagir Christine Pirès-Beaune (Socialistes) : "Mais pourquoi on irait avec ?! Mes collègues du bloc central sont arc-boutés sur l'idéologie macroniste, une politique économique et fiscale à laquelle on s'oppose depuis 2017." Et ce, alors même, selon la députée du Puy-de-Dôme, que "la dissolution et la composition de l'Assemblée nationale auraient dû les forcer à renoncer à leurs totems". "Je pense qu'on n'a rien gagné à la dissolution. Si l'objectif était d'avoir de la stabilité, on n'a jamais eu autant d'imprévisibilité", déplore-t-elle également.
Pour autant, des textes sont adoptés (liste à consulter ici). Essentiellement des propositions de loi, c'est-à-dire d'origine parlementaire, tandis que les projets de loi sont d'initiative gouvernementale. Des propositions de loi sur le narcotrafic, les soins palliatifs et l'aide à mourir, les déserts médicaux… Certaines étant même adoptées à l'unanimité. "On voit bien que sur des sujets, si on prend le temps de les préparer en amont, on peut arriver à construire ensemble", souligne Sébastien Peytavie (Ecologiste et social), qui appelle le gouvernement à "entrer dans le parlementarisme" et à arrêter de "faire comme s'il avait une majorité". Avant de s'interroger : "A part reprendre des trucs du Sénat et des propositions des députés, il a proposé quoi le gouvernement ? Rien, à part la proportionnelle. Qu'il se mette au travail !"
Mais qui dit un an, dit aussi qu'Emmanuel Macron pourra prochainement, s'il le souhaite, dissoudre à nouveau l'Assemblée nationale. L'article 12 de la Constitution stipule en effet qu'il "ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit" les élections législatives anticipées. L'échéance expirera donc le 7 juillet au soir.
"Le chef de l'Etat serait bien inspiré de redemander aux Français leur avis et de dégager une majorité qui permettra au pays d'avancer", lance Sébastien Chenu (Rassemblement national). "Il a mis notre pays à l'arrêt, charge à lui de le faire redémarrer", poursuit-il, estimant que son parti sortirait victorieux d'un tel scrutin. La dissolution, "il va falloir y venir", estime aussi Vincent Jeanbrun (Droite républicaine). Et le néo-député de conclure : "Est-ce que c'est en 2027 [après l'élection présidentielle] ? Est-ce que c'est avant ? Dans tous les cas, il faudra laisser du temps pour la campagne et que les Français puissent choisir en sérénité. Parce que la dernière dissolution, ce n'était pas une marque de respect pour la démocratie."