La pétition contre la loi Duplomb continue d'exploser les compteurs. Sa popularité record ouvre la voie à un débat, sans vote, dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Mais ne remet pas en cause le fond du texte relatif à l'agriculture.
Elle continue d'affoler les compteurs. La pétition contre la loi Duplomb a dépassé, ce lundi 21 juillet, le seuil des 1,4 million de signataires certifiés, un record absolu depuis la création de la plateforme dédiée de l'Assemblée nationale. Signe d'un engagement citoyen fort contre le texte de loi, qui, parmi d'autres mesures liées à l'agriculture, réintroduit à titre dérogatoire l'acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes.
Dans son exposé, l'initiatrice de la pétition, Eleonore Pattery, une étudiante de 23 ans, fustige une "aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire", "une attaque frontale contre la santé publique, la biodiversité, la cohérence des politiques climatiques, la sécurité alimentaire, et le bon sens". Des arguments qui ont visiblement fait mouche, tant le succès de la pétition a dépassé les attentes de cette étudiante.
Mais quelles sont exactement les conséquences du succès de cette pétition ? Disons-le tout de suite : le texte n'a pas vocation à entraîner l'abrogation automatique de la loi. Dès lors qu'elle a dépassé les 100 000 signatures, la pétition sera examinée au sein de la commission des affaires économiques, comme le prévoit le règlement de l'Assemblée nationale. Mais elle pourrait également faire l'objet d'un débat dans l'hémicycle, puisqu'elle a dépassé les 500 000 signatures - à condition que celles-ci émanent d'au moins 30 départements ou collectivités d'outre-mer. La Conférence des présidents, qui rassemble notamment la présidente de l'Assemblée nationale et les présidents de groupes parlementaires, se réunira en septembre pour en décider.
Dès que ce seuil des 500 000 signatures a été dépassé, samedi 19 juillet, les groupes de gauche ont unanimement appelé à ce que le débat ait bien lieu. Le lendemain, c'est Yaël Braun-Pivet elle-même qui s'y est montrée favorable, donnant encore davantage de consistance à cette potentialité : la pression médiatique et politique tend bel et bien vers l'organisation du débat à l'Assemblée. "On ne peut que constater les chiffres qui montrent qu'une partie des Français veut que l'on débatte", a déclaré la présidente du Palais-Bourbon au micro de France Info.
Tout en insistant sur le fait que ce débat "ne pourra en aucun cas revenir sur la loi votée". Le parcours législatif du texte n'est en effet aucunement influencé par un tel débat. En outre, le règlement de l'Assemblée est clair : aucun vote, même symbolique, n'est prévu à l'issue du débat. "On est dans le cadre d'un texte important qui a été voté et qui va permettre de sauver un certain nombre de nos agriculteurs", a ajouté Yaël Braun-Pivet.
La loi Duplomb n'a pas encore été promulguée, et pour cause : elle doit encore franchir l'étape du Conseil constitutionnel, qui a été saisi par les groupes de gauche. Ces derniers jugent notamment, sur la forme, que la procédure législative a été dévoyée au cours de l'examen du texte. Les Sages de la rue de Montpensier doivent se prononcer d'ici au 11 août, une décision au cœur de l'été qui sera particulièrement scrutée.
A tel point que le sénateur à l'origine de la proposition de loi, Laurent Duplomb (Les Républicains), a dénoncé une manœuvre destinée à faire "pression au Conseil constitutionnel et espérer qu'il ne valide pas la loi". "Si elle n'avait pas été instrumentalisée par l'extrême gauche et par les écologistes, les Français se seraient saisis de cette pétition de façon spontanée et auraient autant signé", a estimé l'élu sur RMC.
Si le Conseil constitutionnel valide tout ou partie de la loi, le texte pourra être promulgué par le président de la République. Des voix s'élèvent pour que ce dernier s'abstienne. Une "idée dangereuse", selon le constitutionnaliste Benjamin Morel, qui laisserait croire que le chef de l'Etat dispose d'un veto. "La promulgation n'est pas un choix, c'est une obligation", rappelle-t-il dans un entretien accordé au Point.
En revanche, Emmanuel Macron dispose d'une autre possibilité prévue par l'article 10 de la Constitution, dans un délai. Il peut exiger une seconde délibération au Parlement, sur tout ou partie de la loi. Le texte serait alors débattu depuis sa version originelle. Le président dispose de 15 jours à compter de l'adoption de la loi. A ce stade, rien n'indique qu'il penche vers cette solution - la majorité des députés de son camp ont d'ailleurs soutenu le texte. Cette procédure exceptionnelle n'a été utilisée que trois fois depuis 1958.
Autre option qui se présente à l'exécutif : mettre en pause l'application de la loi après sa promulgation, avant de proposer un nouveau texte abrogeant les mesures les plus controversées de la loi Duplomb. C'est ce qu'il s'était produit en 2006, avec le "contrat première embauche" (CPE), qui avait été particulièrement combattu dans la rue. Concernant la loi Duplomb, cette hypothèse semble toutefois peu probable, au regard du contexte politique actuel.
Le texte pourrait néanmoins faire l'objet de nouveaux débats dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale à l'avenir, les groupes d'opposition ayant la possibilité d'inclure des propositions de loi d'abrogation lors de leur journée de "niche parlementaire", au cours desquelles ils ont la maîtrise de l'ordre du jour. Sans, là encore, d'avoir la certitude que ces démarches aboutissent à revenir sur les mesures de la loi Duplomb.
La gauche semble déterminée à ne pas lâcher ce combat ravivé par le succès de la pétition citoyenne, "une incroyable bonne nouvelle", comme le décrit Jean-Luc Mélenchon dans sa dernière note de blog. "Vous ne pouvez ignorer cette mobilisation historique. Plus d’un million de citoyen et citoyennes vous regardent", a prévenu le groupe Ecologiste et social à l'adresse d'Emmanuel Macron. "Si la loi est finalement promulguée par Emmanuel Macron, nous porterons à la rentrée une proposition de loi abrogeant les graves reculs de la loi Duplomb", ont pour leur part mis en garde les députés socialistes. Même si la loi est promulguée telle quelle, le texte agricole sera l'un des sujets de la rentrée parlementaire. D'ici là, le nombre de signataires de la pétition aura continué de grandir.