"Refondation" de Mayotte : l'Assemblée muscle le volet "immigration" du projet de loi

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Estelle Youssouffa LCP 24/06/2025
La députée mahoraise Estelle Youssouffa (LIOT) à l'Assemblée, le 24 juin 2025 (© LCP)
par Raphaël Marchal, le Mercredi 25 juin 2025 à 08:35, mis à jour le Mercredi 25 juin 2025 à 08:47

Le projet de loi de "refondation" de Mayotte est examiné cette semaine à l'Assemblée nationale. Mardi 24 juin au soir, lors de débats souvent vifs, les députés ont adopté les principales mesures dédiées à la lutte contre l'immigration irrégulière et à ses conséquences pour l'archipel. L'examen du texte se poursuivra ce mercredi après-midi. 

C'est un volet conséquent du projet de loi de "programmation pour la refondation de Mayotte" dont l'examen est quasiment achevé. Les députés ont adopté, à l'issue de la séance du mardi 24 juin au soir, les principales mesures de la partie immigration du texte, destiné à tenir compte de la spécificité de l'archipel, département le plus pauvre de France et situé à proximité des Comores.

Le projet de loi prévoit notamment de conditionner l'obtention des titres de séjour "parents d'enfants français" et "liens personnels et familiaux" à une entrée régulière sur le territoire, et de rallonger leur délai d'obtention. "Au regard de la part prépondérante de plus de 60 % des titres de séjour parents d'enfants français ou liens personnels et familiaux délivrés à Mayotte, il est parfaitement justifié, sans s'accuser mutuellement d'inhumanité, d'adopter des mesures qui visent à juguler l'attractivité de ces titres", a défendu le ministre des Outre-mer, Manuel Valls.

Dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, les élus ont validé d'autres mesures liées à l'immigration, comme la centralisation des reconnaissances de paternité à Mamoudzou, ou le durcissement des peines pour reconnaissance frauduleuse de paternité. Mais le débat s'est particulièrement envenimé au moment d'aborder deux dispositions qui avaient été supprimées au stade de la commission, et qui ont finalement été rétablies avec le soutien du gouvernement, des groupes de la coalition présidentielle, des Républicains, et du Rassemblement national.

Le retour des "unités familiales"

La première d'entre elles concerne les "unités familiales", destinées à accueillir les familles avec un mineur en vue de leur éloignement, pour une durée maximale de 48 heures, à compter de juillet 2028. Ces lieux doivent être indépendants des centres de rétention administrative. "L'intimité des familles sera préservée. Il 'ny aura aucun policier à l'intérieur des emprises, pas de grillage, pas de barbelés, pas de hauts-parleurs", a soutenu Manuel Valls, avant d'indiquer que des unités similaires existent "dans de nombreux pays européens".

Cet "article indispensable", selon le ministre, a été identifié par la gauche comme un contournement de l'interdiction du placement en rétention des mineurs. "On était à deux doigts de nous expliquer que ces lieux d'enfermement, c'est Disneyland", a raillé, amère, Léa Balage El Mariky (Ecologiste et social). "Pour le ministre Valls, il y a une priorité à mettre en oeuvre : enfermer les enfants", a dénoncé Elisa Martin (La France insoumise), causant l'ire de l'intéressé. "Ça suffit ces caricatures, je n'accepte pas que vous disiez ça. C'est honteux, c'est caricatural", a tempêté Manuel Valls.

Dans la foulée, l'Assemblée nationale a restauré un autre article supprimé en commission : la possibilité de retirer un titre de séjour à des parents de mineurs étrangers qui représentent une menace pour l'ordre public. L'élue mahoraise Estelle Youssouffa (LIOT) a décrit des "parents qui utilisent la minorité de leurs enfants pour organiser leurs agissements" : "vols", "émeutes", transfert de "kwassa". "La violence a rendu notre île invivable", s'est-elle émue, décrivant des "hordes de gamins armés de machettes, et qui se découpent en morceaux".

Là encore, les groupes de gauche ont ferraillé contre cette disposition, sans succès. "On est en train de parler de punition collective à l'égard d'enfants, de leurs parents, de leurs frères et soeurs", s'est désespérée Léa Balage El Mariky (Ecologiste et social).

La fin des visas déterritorialisés

Plus tôt dans l'après-midi, les députés ont, par ailleurs, entériné la fin, prévue en 2030, des visas territorialisés dans le département ultramarin. Ce dispositif spécifique empêche les étrangers avec un titre de séjour de se rendre dans l'Hexagone. Cet article avait été adopté en commission via un amendement de la droite... contre l'avis du ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau. Dans l'hémicycle, Manuel Valls, qui a souligné le travail mené conjointement par les rapporteurs, s'est finalement rangé à la "sagesse" des parlementaires.

Liberté, égalité, fraternité. Fraternité dans les emmerdes ! Estelle Youssouffa, députée LIOT mahoraise

"Il faut envoyer un signal aux Mahorais", a plaidé l'un des rapporteurs du texte, Philippe Gosselin (Droite républicaine). "La territorialisation est vide d'effets positifs. Si ça peut être un outil, il est plutôt illusoire", a-t-il poursuivi, davantage favorable à "contraindre l'Etat non pas à une obligation de moyens, mais de résultats". Quelques rares élus Ensemble pour la République se sont cependant opposés à cette déterritorialisation des visas demandée par "tout le monde" à Mayotte, a rapporté Estelle Youssouffa (LIOT). Mais "si nous déterritorialisons, nous allons renforcer l'attractivité migratoire de Mayotte", a mis en garde Charles Sitzenstuhl (EPR).

Cet article, soutenu par les groupes de gauche comme de droite, a été adopté à une large majorité, ce qui n'a pas empêché de vifs débats. Notamment lorsque des députés de gauche de La Réunion ont soutenu un amendement limitant cette déterritorialisation à l'Hexagone, excluant ainsi les autres territoires d'Outre-mer. "Franchement, la solidarité à la réunionnaise...", a soupiré Estelle Youssouffa, s'attirant les foudres d'Emeline K/Bidi (Gauche démocrate et républicaine) : "Si Mme Youssouffa ne passait pas son temps à dire qu'elle attendait avec impatience que La Réunion s'effondre, qu'elle connaisse aussi la submersion, et qu'elle passait plus de temps à se battre pour l'égalité des droits..." L'amendement a finalement été rejeté.

Et l'article a été adopté avec l'abstention des élus du Rassemblement national. "J'ai très confiance dans la politique de lutte contre l'immigration que nous mènerons quand nous serons au pouvoir. En 2027, on vos montrera qu'une vraie politique de lutte contre l'immigration, ça marche", a justifié Marine Le Pen, la présidente du groupe.

Les débats sur le projet de loi reprendront ce mercredi 25 juin après-midi sur les ultimes mesures du volet immigration. Le gouvernement tentera notamment de faire rétablir un autre article, supprimé en commission, qui conditionne l'envoi de fonds en espèce à la vérification de la régularité du séjour.