En annonçant qu'il n'aura pas recours à l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le budget 2026, le Premier ministre, Sébastien Lecornu, a acté un changement de méthode par rapport aux gouvernements qui se sont succédé depuis 2022. Mais l'exécutif dispose d'autres outils constitutionnels pour encadrer l'examen du budget au Parlement. Et au-delà de la méthode, les oppositions attendent aussi des ruptures sur le fond.
C'est la première des "ruptures" qui avaient été annoncées par le Premier ministre lors de son arrivée à Matignon. Sébastien Lecornu n'aura pas recours à l'article 49.3 de la Constitution – qui permet au gouvernement de faire passer un texte sans vote, au risque de s'exposer à une motion de censure –, lors de l'examen du projet de loi de finances 2026 à l'Assemblée nationale.
Dès lors, le futur gouvernement, qui sera nommé dans les prochains jours, laissera les députés débattre du budget dans l'hémicycle. Le processus législatif concernant le projet de loi de finances (PLF), un texte vital pour le fonctionnement du pays, est cependant très encadré. Le PLF doit être présenté en Conseil des ministres "avant le premier mardi d'octobre" et, selon la direction du Budget à Bercy, déposé à l'Assemblée nationale "au plus tard le 13 octobre". Un calendrier qui diffère de quelques jours par rapport à ce que prévoit la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), mais qui permet de respecter le délai de 70 jours dont le Parlement dispose, conformément à la Constitution, pour examiner le budget de l'Etat. Sachant que celui-ci doit être promulgué au plus tard le 31 décembre.
Alors, quid du renoncement au 49.3 par Sébastien Lecornu ? Tout juste reconduit à la présidence de la commission des finances, le député Eric Coquerel (La France insoumise) y voit un "leurre". Selon lui, soit le Premier ministre est à "la recherche d'un accord de non-censure avec le Rassemblement national", dans la foulée des élections au Bureau et aux présidences des commissions à l'Assemblée nationale, soit "il joue avec les délais de 70 jours pour adopter le budget par ordonnances". Une procédure prévue par l'article 47 de la Constitution, qui permet au gouvernement de faire appliquer ses mesures budgétaires sans adoption du PLF en bonne et due forme par le Parlement si celui-ci ne s'est pas prononcé dans le temps imparti. A savoir les 70 jours destinés à garantir que la France aura un budget, et pourra donc fonctionner, dès le 1er janvier.
La veille, jeudi 2 octobre, un député du parti présidentiel évoquait déjà le scénario d'un renoncement au 49.3 auprès de LCP, estimant qu'un accord politique de fond avec les oppositions ne pourrait se faire sans détricoter le bilan d'Emmanuel Macron. Et donc... ne se ferait pas. "Sans 49.3, l'Assemblée nationale votera tout et n'importe quoi. Les parlementaires rejetteront le budget et ensuite, on pourra passer par ordonnances ou par une nouvelle loi spéciale", expliquait cet élu spécialiste des questions budgétaires. Favorable à la deuxième option, il estime que celle-ci permettrait d'aboutir au "meilleur budget que l'on puisse avoir" dans la situation politique actuelle. Et de poursuivre : "Avec une faible inflation, on ne s'en sortirait pas si mal, on dégraderait un peu le déficit", ajoutant : "Il n'y a rien qui ne soit plus grave qu'une dissolution."
Sollicité par LCP, le constitutionnaliste Benjamin Morel considère que ce changement de méthode du Premier ministre va forcément "ouvrir le débat budgétaire". Ce vendredi, Sébastien Lecornu "a lâché un gros truc symbolique" et "prend les socialistes [qui demandaient l'abandon du 49.3, Ndlr] à leur propre jeu". Dans la foulée de l'annonce du locataire de Matignon, plusieurs responsables de gauche ont d'ailleurs mis en garde contre d'autres articles de la Constitution qui pourraient "cornaquer le débat parlementaire", selon les mots du premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure.
"Il n'y a pas que le 49.3 dans la Constitution, il y a l'article 40, le vote bloqué, il y a d'autres mesures qui peuvent brider le débat", a renchéri le secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel. Les initiatives parlementaires (propositions de loi et amendements) sont en effet encadrées, donc limitées, par l'article 40 de la Constitution sur la recevabilité financière. Tandis que l'article 44.3 prévoit que le gouvernement peut demander "un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés" par lui.
Si l'exécutif "utilise notamment le vote bloqué, il peut fondamentalement contraindre le débat de manière très importante", assure le constitutionnaliste Benjamin Morel, qui juge que la "mise en récit" du jour est "plus intéressante pour Sébastien Lecornu" : "Tout le monde connaît le 49.3, alors que le reste ne parle pas aux Français."
La méthode ne peut pas se substituer au fond. Arthur Delaporte (député socialiste)
Encore faut-il, pour que la discussion budgétaire se tienne dans les prochaines semaines, que le Premier ministre passe l'étape de sa déclaration de politique générale (DPG) qui, selon nos informations, devrait se tenir mardi 7 octobre à l'Assemblée nationale. "La méthode ne peut pas se substituer au fond", a prévenu le député socialiste Arthur Delaporte sur LCI. Or, à la sortie de Matignon ce vendredi, Olivier Faure a évoqué "une copie très insuffisante et à bien des égards alarmante sur le fond". Le premier secrétaire du PS souhaite aussi un vote sur la réforme des retraites, qui a été adoptée en 2023 via... un 49.3. Et d'indiquer en substance que sans "rupture de fond" au plus tard lors la DPG, les socialistes iront vers la censure.
Reçue un peu plus tôt, la présidente du groupe Rassemblement national au Palais-Bourbon, Marine Le Pen, a elle aussi expliqué attendre la déclaration de politique générale pour y voir plus clair. Sans fixer d'échéance à ce stade, elle a rappelé que pour le RN, ce serait "la rupture" avec la politique menée ces dernières années ou "la censure".
De l'autre côté de l'hémicycle, le coordinateur national de La France insoumise et député, Manuel Bompard, a confirmé sur X le dépôt d'une motion de censure par son groupe parlementaire "dès la nomination de ce gouvernement illégitime". L'élu LFI estimant qu'avec son annonce sur le 49.3, "Sébastien Lecornu vient sceller aujourd’hui la dernière pierre de son accord avec l’extrême-droite pour faire voter à l’Assemblée Nationale un budget macrolepeniste".