Après l'échec du Rassemblement national en octobre, c'est le Nouveau Front populaire qui va tenter d'obtenir un vote favorable à l'abrogation de la réforme des retraites de 2023, lors de la journée d'initiative parlementaire de La France insoumise, qui aura lieu jeudi 28 novembre dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Un tel vote aurait une forte portée politique, même si l'abrogation de la réforme restera hors d'atteinte dans la configuration politique nationale actuelle. Le texte des députés LFI sera examiné ce mercredi, 20 novembre, en commission.
Il s'agit, avec l'examen du budget 2025, d'une des batailles politiques les plus intenses de ce début de XVIIe législature. La saga de la réforme des retraites - et son corollaire, les tentatives d'abrogation de celle-ci - va connaître un nouvel épisode en ce mois de novembre. La France insoumise, en coordination avec les autres groupes du Nouveau Front populaire, présente une proposition de loi "d’abrogation de la retraite à 64 ans", dans le cadre de sa journée d'initiative parlementaire.
Un texte qui, avec le renfort des voix du Rassemblement national, devrait être voté en commission ce mercredi 20 novembre, avant d'être débattu dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale jeudi 28 novembre. Au-delà de sa portée politique, l'adoption de cette proposition de loi, en première lecture, au Palais-Bourbon ne suffirait pas, loin de là, à abroger la réforme des retraites. Retour sur les précédents épisodes de cette saga qui a commencé en janvier 2023.
A l'Assemblée nationale, l'examen de la réforme débute en commission à la fin du mois de janvier 2023. Défendu par le ministre du Travail de l'époque, Olivier Dussopt, le texte reporte progressivement l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Il porte également une accélération de la réforme "Touraine" de 2014, avec un allongement de la durée de cotisation de 42 ans à 43 ans d'ici à 2035.
La réforme est vivement combattue par les syndicats, mais aussi par les députés de gauche, ainsi que par ceux du Rassemblement national, du groupe LIOT, et par certains députés de droite. Après une intense bataille parlementaire, alors qu'un vote pourrait se jouer à quelques voix, Elisabeth Borne décide, le 16 mars 2023, de recourir au 49.3 pour faire adopter le texte. En réponse, deux motions de censure sont déposées à l'Assemblée : elles sont examinées le 20 mars 2023. L'une, déposée par le Rassemblement national, est largement rejetée. L'autre, déposée par le groupe LIOT, échoue à 9 voix près. Le texte est alors considéré comme définitivement adopté par le Parlement.
Un mois plus tard, le 14 avril 2023, le Conseil constitutionnel met un terme à l'acte fondateur de la saga de la réforme des retraites, qui se poursuit depuis au fil des tentatives d'abrogation. Saisis par la Première ministre Elisabeth Borne, mais aussi par les députés et les sénateurs de gauche, ainsi que par les députés du Rassemblement national, les Sages de la rue de Montpensier valident l'essentiel de la réforme.
Le 20 mars 2023, anticipant l'échec de leur recours devant le Conseil constitutionnel, 252 parlementaires de gauche rédigent une demande de référendum d'initiative partagée. Pour avoir une chance d'aboutir, cette procédure complexe doit d'abord être validée par les Sages au regard de règles précises. Si tel est le cas, ses initiateurs ont neuf mois pour recueillir 4,87 millions de signatures de citoyens, afin de déclencher le processus parlementaire qui peut, éventuellement, déboucher sur un l'organisation d'un référendum. Mais le Conseil constitutionnel juge irrecevable cette première demande le 14 avril 2023. Une seconde tentative est également rejetée le 3 mai 2023.
Lors de l'examen de la réforme, les députés n'ont pas voté directement sur la réforme des retraites puisque, suite à l'utilisation du 49.3 et comme le prévoit la procédure législative dans ce cas, c'est l'échec des motions de censure qui a fait office d'adoption.
Quelques semaines plus tard, considérant que le débat n'a pas pu aller à son terme et que la représentation nationale ne s'est pas clairement prononcée sur le report de l'âge légal de départ en retraite à 64 ans, le groupe LIOT décide de présenter une proposition de loi d'abrogation des mesures d'âge dans le cadre de sa journée d'initiative parlementaire.
Pas possible selon la majorité présidentielle, qui estime que le texte est irrecevable, car contraire à l'article 40 de la Constitution, qui interdit aux parlementaires de créer une "charge supplémentaire" pour les finances publiques, ce qui serait le cas si la réforme était annulée. Saisi sur le sujet, le président de la commission des finances, Eric Coquerel (La France insoumise), juge la proposition de loi "recevable", ce qui ouvre la porte à son examen en commission des affaires sociales, le 31 mai 2023.
Mais le bras de fer se poursuit. Et lors de l'examen en commission, les députés de la majorité d'alors parviennent à vider le texte de sa substance en supprimant l'article prévoyant d'abroger la réforme des retraites. Dès le lendemain, le groupe LIOT, à l'époque présidé par Bertrand Pancher qui n'a pas été réélu à l'Assemblée en juillet dernier, promet de continuer le combat parlementaire. Des amendements visant à rétablir les mesures supprimées sont donc déposés en vue du débat en séance publique prévu le 8 juin 2023 dans l'hémicycle.
A ce stade de la procédure, c'est cependant à la présidence de l'Assemblée nationale que revient la responsabilité de juger de la "recevabilité financière" des amendements de rétablissement. Or, Yaël Braun-Pivet (La République en marche), considère que ces amendements sont irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution. Le 8 juin, après avoir présenté la proposition de loi, même vidée de sa substance, dans l'hémicycle afin de provoquer le débat, Bertrand Pancher se résout à jeter l'éponge : "Il ne reste plus rien de notre texte", déplore-t-il en annonçant finalement son retrait.
En octobre 2023, les députés de La France insoumise déposent, à leur tour, une proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites. Mais cette fois, contrairement à ce qui s'était passé lors du dépôt du texte du groupe LIOT, le Bureau de l'Assemblée - la plus haute autorité collégiale de l'institution - est saisit du sujet et déclare la proposition de loi irrecevable financièrement. Le groupe présidé par Mathilde Panot croit alors trouver une parade : il reprend une proposition de loi du président des députés LIOT, Bertrand Pancher, autre que celle mentionnée dans l'épisode précédent, qui a elle aussi pour objectif l'abrogation de la réforme. Ce texte, déposé en avril, n'avait pas été jugé irrecevable par le Bureau.
Les insoumis espèrent donc pouvoir présenter cette proposition de loi à l'occasion de leur journée d'initiative parlementaire, programmée le 30 novembre 2023 dans l'hémicycle du Palais-Bourbon. Mais là encore, un Bureau est convoqué et frappe finalement le texte d'irrecevabilité financière. Les députés LFI estiment que cette décision est "une honte démocratique".
Après les élections législatives anticipées de 2024, la bataille des retraites reprend de plus belle. Avec deux différences par rapport à la législature précédente : les groupes hostiles à la réforme des retraites sont désormais largement majoritaires à l'Assemblée nationale. Et la gauche dispose de la majorité des postes au sein du Bureau de l'institution.
A la rentrée de septembre, le Rassemblement national, qui est devenu le groupe politique le plus important numériquement au Palais-Bourbon - et qui bénéficiera donc de la première journée d'initiative parlementaire de la session - annonce le dépôt d'un texte d'abrogation. Dans sa nouvelle configuration, le Bureau n'oppose pas l'irrecevabilité financière à la proposition de loi du groupe présidé par Marine Le Pen, ce qui ouvre la voie à son examen en commission, en vue de la journée d'initiative du RN prévue le 31 octobre dans l'hémicycle.
Mais la gauche, qui aimerait devancer le Rassemblement national indique qu'elle proposera la suppression de la réforme des retraites par voie d'amendement, lors de l'examen du budget de la Sécurité sociale. Ce que les groupes du Nouveau Front populaire ont tenté de faire sans y parvenir. A défaut, les membres du NFP annoncent qu'ils utiliseront une autre fenêtre de tir pour tenter d'obtenir un premier vote contre la réforme des retraites : la journée d'initiative parlementaire de La France insoumise, qui aura lieu le 28 novembre.
En attendant, le 23 octobre, c'est la proposition de loi visant "à restaurer un système de retraite plus juste en annulant les dernières réformes portant sur l’âge de départ et le nombre d’annuités", défendue par le RN, qui est examinée en commission. Le texte propose de fixer à 62 ans l'âge légal de départ à la retraite et à 42 annuités la durée de cotisation requise pour une retraite à taux plein. Malgré les efforts du rapporteur Thomas Ménagé (Rassemblement national), qui qualifie la proposition de "texte de concorde", celui-ci est vidé de sa substance. A l'initiative des groupes du socle gouvernemental, mais aussi parce que la gauche ne souhaite pas soutenir le texte du RN qu'elle considère être un "Tartuffe sur les questions sociales".
Comme le groupe LIOT en son temps, le groupe de Marine Le Pen tente alors de réintroduire les articles supprimés par voie d'amendement, afin de pouvoir les étudier lors du passage du texte dans l'hémicycle, le 31 octobre. Mais une fois encore, la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet déclare ces amendements irrecevables, comme elle l'avait fait en juin 2023 lors de la tentative d'abrogation portée par le groupe LIOT. Le Rassemblement national refuse cependant de retirer sa proposition de loi qui est donc examinée en séance publique, sans pouvoir être débattue au fond, et finalement rejetée. Marine Le Pen impute alors cet échec à la gauche, qu'elle accuse de "sectarisme", et annonce que son groupe votera le texte qui sera proposé dans le cadre de la journée d'initiative du groupe LFI.
Cette semaine en commission et la semaine prochaine dans l'hémicycle, c'est donc le Nouveau Front populaire, La France insoumise en tête, qui va tenter d'obtenir une première victoire politique dans la bataille pour l'abrogation de la réforme des retraites. La proposition de loi du groupe présidé par Mathilde Panot sera examinée, ce mercredi 20 novembre, par la commission des affaires sociales avec un rapport de force qui devrait permettre son adoption. Puis, la semaine prochaine, jeudi 28 novembre, le débat aura lieu dans l'hémicycle de l'Assemblée.
La proposition de loi, dont le rapporteur est Ugo Bernalicis (LFI), vise à abroger le report de l'âge légal de départ à 64 ans et prévoit de compenser le manque à gagner par une hausse des taxes sur le tabac et par une "contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des sociétés pétrolières et gazières". En cas d'adoption au Palais-Bourbon, le texte devra être inscrit à l'ordre du jour du Sénat, où il n'a aucune chance d'être adopté compte tenu de la configuration politique au Palais du Luxembourg.
Et sans gouvernement favorable à l'abrogation de la réforme, la procédure permettant de donner le dernier mot à l'Assemblée nationale ne sera, sans aucun doute, pas enclenchée. La semaine prochaine, les opposants au report de l'âge légal de départ en retraite à 64 ans pourraient donc remporter une première victoire, mais il ne s'agirait que d'un épisode de plus dans une saga qui dure depuis bientôt deux ans et qui semble encore loin d'être terminée.