Affaire Bétharram : le rapport de la commission d'enquête sur les violences dans les établissements scolaires pointe "un État défaillant"

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Les deux rapporteurs Paul Vannier et Violette Spillebout.
Les deux rapporteurs Paul Vannier et Violette Spillebout.
par Anne-Charlotte Dusseaulx, le Mercredi 2 juillet 2025 à 08:30, mis à jour le Mercredi 2 juillet 2025 à 09:38

Adopté le 25 juin par la commission d'enquête, le rapport de Violette Spillebout (Ensemble pour la République) et Paul Vannier (La France insoumise) "sur les modalités du contrôle par l'Etat et de la prévention des violences dans les établissements scolaires" a été rendu public ce mercredi 2 juillet. Les deux députés font 50 recommandations et reviennent longuement sur l'affaire Notre-Dame de Bétharram, à l'origine de leurs travaux. Ils pointent notamment un "Etat défaillant" et un "défaut d'action" de François Bayrou. 

Cinquante recommandations et 318 pages, sans les annexes. Les conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale "sur les modalités du contrôle par l'Etat et de la prévention des violences dans les établissements scolaires", rédigées par les deux rapporteurs Violette Spillebout (Ensemble pour la République) et Paul Vannier (La France insoumise), sont rendues publiques ce mercredi 2 juillet. Dans un avant-propos, la présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, Fatiha Keloua Hachi (Socialistes), salue ce "travail de fond sur l'impensable", à savoir "des enfants, partout en France, livrés à des monstruosités", qui a permis de "mettre en lumière des dysfonctionnements structurels". 

Dans leur introduction, Violette Spillebout et Paul Vannier indiquent avoir procédé au long de leurs travaux, débutés en mars dernier, "à 80 signalements au titre de l'article 40 du code de procédure pénale". Le rapport est divisé en deux parties : la première intitulé "les violences faites aux enfants en milieu scolaire, une réalité largement occultée" ; la seconde intitulée "un Etat défaillant"

Un "défaut d'action" de François Bayrou

Créée après les révélations sur Notre-Dame de Bétharram, la commission d'enquête consacre une quarantaine de pages de la première partie de son rapport à l'établissement privé d'enseignement catholique du Béarn, en revenant notamment sur les faits et sur les témoignages recueillis. "Cette affaire Bétharram concentre à elle seule l'ensemble des caractéristiques et dysfonctionnements, que ce soit en matière de prévention ou de contrôle de l'Etat", écrivent Violette Spillebout et Paul Vannier, pour qui "la très longue période durant laquelle  [les violences] se sont produites (...) ne permet pas de circonscrire les faits à 'une époque'", comme ils l'ont parfois entendus dans les auditions. 

Les deux rapporteurs reviennent précisément sur le cas du père Carricart, l'ancien directeur de l'institution accusé d'agression sexuelle, et sur "l'appel téléphonique entre le sous-directeur des affaires pénales et le procureur général de la cour d'appel de Pau" en mai 1998, le jour même de la présentation de l'accusé au juge d'instruction. Quelques jours plus tard, le père Carricart avait été remis en liberté. A l'époque président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques, François Bayrou avait-il pu intervenir ? "Les travaux de la commission n’ont pas permis d'apporter de preuve conclusive sur l'origine ou les origines de l'intervention", notent les rapporteurs. Et quelques lignes plus loin, ils ajoutent :  "Les travaux de la commission n'ont pas non plus permis d'établir si les différentes plaintes, ou la mise en examen de Pierre Silviet-Carricart, (...) avaient été portées à la connaissance du ministère de l’Education nationale".  

Sur l'affaire Bétharram et la connaissance du dossier par l'actuel Premier ministre, Violette Spillebout (EPR) et Paul Vannier (LFI) ont des divergences. Ainsi, dans le rapport, un paragraphe n'engage que le député insoumis - c'est le seul passage où une telle distinction est faite, le reste du document étant assumé par les deux rapporteurs. Selon lui, en affirmant dans un second temps avoir été informé "par la presse" de certaines violences dans l'établissement béarnais, après avoir dit n'en avoir rien su lors d'une séance de Questions au gouvernement, François Bayrou "a alors révélé avoir préalablement menti à la représentation nationale en niant toute information au sujet de ces violences".

A défaut d’action que l’ancien ministre de l’éducation nationale et président du conseil général alors informé avait les moyens d’engager, ces violences physiques et sexuelles sur les élèves de Bétharram ont perduré. Rapport de la commission d'enquête

Juste après, les deux co-rapporteurs écrivent, ensemble cette fois : "défaut d’action que l’ancien ministre de l’Education nationale [fonction que François Bayrou a occupée de 1993 à 1997, ndlr.] et président du conseil général alors informé avait les moyens d’engager, ces violences physiques et sexuelles sur les élèves de Bétharram ont perduré pendant des années, comme en attestent les nombreuses plaintes déposées par d’anciens élèves pour des faits postérieurs aux années 1990." Lors de son audition devant la commission d'enquête, l'actuel Premier ministre avait rappelé avoir diligenté, en 1996, un rapport d'inspection académique qui, compte tenu de ses conclusions, n'avait pas eu de suite, mais dont le sérieux a depuis été démenti par la révélation des faits qui se sont produits à Notre-Dame de Bétharram. 

"Le silence" des adultes face aux faits de violence

Tout au long du rapport, Violette Spillebout et Paul Vannier évoquent les différents collectifs formés dans la foulée des révélations sur Bétharram, s'attardent sur plusieurs dossiers, comme celui du village d'enfants de Riaumont (Pas-de-Calais) ou le collège Stanislas (Paris), et révèlent d'autres faits de violences, notamment dans les années 1990 au sein du collège Saint-Jean de Pélussin (Loire). Les rapporteurs analysent longuement les nombreuses raisons de l'omerta régnant dans ces établissements scolaires, parmi lesquelles le fait que le sujet "était tout simplement tabou à l'époque", que certains enfants étaient "déjà victimes de violences dans leur milieu familial" et d'autres qui considéraient "que leurs parents ne les auraient pas crus, la remise en question de l’autorité des prêtres étant impensable". 

Mais "le silence d'une partie importante des victimes ne suffit pas à expliquer la perpétuation de ces violences systémiques pendant des décennies", estiment les députés, qui dénoncent "le silence complaisant, prudent ou résigné des adultes". "La parole des enfants, non sollicitée, était rare ; quand elle s'exprimait, elle était souvent mal reçue ; lorsqu'elle était entendue par leurs parents, les responsables des institutions mises en cause s'empressaient de l'étouffer, et dans les rares cas où cette parole parvenait à la justice, l'affaire se concluait par un classement sans suite, plus rarement un non-lieu, et plus rarement encore par une peine légère, souvent précédée par une requalification des faits pour en amoindrir la portée", résument Violette Spillebout et Paul Vannier.

Cinquante recommandations réparties en cinq axes

Alors, pour lutter contre ces violences, le rapport de la commission d'enquête fait cinquante recommandations, réparties en cinq axes. Pour "reconnaître les victimes de violences commises en milieu scolaire", les députés préconisent notamment de créer un fonds d'indemnisation et d'accompagnement, de constituer à l'Assemblée nationale une "mission transpartisane sur l'opportunité de rendre imprescriptibles certaines infractions commises sur les mineurs" et de "prolonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation pour les faits de violences volontaires"

Sur le volet de protection des élèves, Violette Spillebout et Paul Vannier recommandent de "procéder à un contrôle de l'honorabilité de l'ensemble des membres du personnel et des bénévoles des établissements scolaires publics et privés, au moment de leur recrutement, puis tous les trois ans" ou encore de permettre "aux dirigeants des organismes de gestion de tous les établissements privés de faire procéder par le rectorat, à tout moment et sur simple demande, au contrôle du casier judiciaire et à la vérification du FIJAISV pour les personnels et bénévoles exerçant dans leur établissement". Les rapporteurs entendent aussi veiller à ce que le nouveau système d'information des ressources humaines du ministère de l'Education nationale permette bien "le suivi d'un dossier individuel, y compris en cas de mobilité interacadémique". 

Autre recommandation : la création d'une cellule nationale - qui serait appelée Signal Educ' - de recueil des signalements des violences pour les personnes "ne souhaitant pas ou ne pouvant emprunter la voie hiérarchique", comme c'est le cas aujourd'hui pour l'application Faits établissement. "Seule une cellule dédiée et spécialisée, placée au sein du ministère de l’éducation nationale, permettrait ainsi de garantir, notamment aux lanceurs d’alerte, une voie de signalement protectrice, dépaysée et efficace", expliquant les rapporteurs. Chaque année, cette cellule rendrait un rapport d'activité regroupant des données chiffrées, par académie et par type d'établissement.

La question des établissements privés

Si les établissements publics comme privés sont concernés par les faits de violences commis par des adultes sur des enfants, "les phénomènes [sont] accentués dans l'enseignement catholique", indiquent les élus, qui pointent leur "modèle éducatif explicitement plus strict, s'appuyant sur de nombreux internats" ou encore "une loi du silence particulièrement prégnante". 

Une partie des recommandations concernent donc directement ces établissements, jusqu'à présent très peu contrôlés. L'une d'elle est de "confier à la direction générale de l’enseignement scolaire les mêmes missions, s’agissant des établissements privés sous contrat, que celles qui lui sont confiées pour les écoles et établissements publics". Violette Spillebout et Paul Vannier souhaitent également "qu'au moins un contrôle périodique complet des établissements privés" soit effectué "tous les cinq ans au plus". Ils proposent aussi que des mesures de prévention et de lutte contre les violences physiques et sexuelles soient directement intégrées "dans les clauses des contrats liant les établissements privés à l'Etat". 

Et parce que la question des inspections justement, et la manière dont elles sont menées, a beaucoup été questionnée lors des auditions de la commission d'enquête, un volet leur est consacré, comprenant seize préconisations. Parmi lesquelles : la mise en place de contrôle annuel dans les établissements dotés d'internats pour le premier degré et au maximum tous les trois ans pour le second degré ; la garantie que les élèves reçus en entretien individuel par les inspecteurs soient systématiquement sélectionnés de façon aléatoire ou encore l'intégration au code de l'éducation d'une "gradation des sanctions selon la nature des manquements constatés et en cas de non-respect des mises en demeure". 

Le rapport a été adopté par la commission d'enquête le 25 juin. Reste à savoir quelles suites seront données à ces propositions. Noir sur blanc, Violette Spillebout (EPR) et Paul Vannier (LFI) assurent en tout cas "que leur engagement se poursuivra", afin que leurs recommandations "se traduisent enfin par des actes à la mesure de l'enjeu". 

Les contributions du Rassemblement national et de la Droite républicaine

Deux contributions ont été annexées au rapport de Violette Spillebout et de Paul Vannier : l'une émanant du groupe Rassemblement national et l'autre de la députée Frédérique Meunier, au nom du groupe de la Droite républicaine. Si ces contributions saluent le travail de la commission d'enquête, elles déplorent toutefois la conduite de certaines auditions.

"Nous estimons [que la commission] est, sur certains points, sujette à caution", estime le RN, qui évoque la "nette propension des rapporteurs à ramener les investigations sur ce qui était initialement le projet politique de La France insoumise", à savoir "stigmatiser l'enseignement privé diocésain", ou encore les discussions autour "de la fermeture administrative d'établissements privés islamistes".

Le groupe de Marine Le Pen critique aussi "l'atmosphère de tribunal populaire" de certaines auditions, dont celle de François Bayrou. C'est aussi "l'acharnement médiatique" autour du Premier ministre que dénonce Frédérique Meunier (DR).

"Il ne saurait être question de jeter l'opprobre sur l'ensemble de l'enseignement privé catholique. Les dérives d'individus, aussi graves soient-elles, ne doivent pas conduire à une condamnation collective ni à une suspicion généralisée", écrit par ailleurs l'élue, qui appelle à "condamner les fautes, pas les convictions".

A la fin de sa contribution, le Rassemblement national demande aux pouvoirs publics de "présenter d'ici la prochaine rentrée scolaire à la représentation nationale, un dispositif d'ensemble visant à assurer la protection des élèves dans tous les lieux et tous les temps scolaires".