Retraites : le "conclave" touche à sa fin, et maintenant ?

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Elisabeth Borne à la tribune de l'Assemblée nationale alors que l'opposition de gauche chante la Marseillaise pour protester contre l'utilisation du 49.3.
En mars 2023, la Première ministre Elisabeth Borne annonce le recours au 49.3 sur la réforme des retraites.
par Anne-Charlotte Dusseaulx, le Vendredi 13 juin 2025 à 17:45

L'ultime réunion du "conclave" sur les retraites doit se tenir ce mardi 17 avril, sauf report de dernière minute. Les partenaires sociaux discutent de possibles modifications de la réforme portée par Elisabeth Borne en 2023. Tomberont-ils d'accord ? Si oui, les conclusions devraient être soumises au Parlement, ce dont les opposants à la réforme comptent bien profiter pour tenter de revenir sur le report de l'âge légal de départ en retraite à 64 ans. 

C'est (presque) la fin. Cinq mois après son lancement, le "conclave" sur les retraites, l'une des concessions faites par François Bayrou au Parti socialiste pour éviter une censure de son gouvernement sur le budget 2025, se réunira une dernière fois mardi 17 juin, après deux rencontres qui se sont tenues mercredi et jeudi. Un rendez-vous qui, selon nos informations, pourrait être décalé de quelques jours. Quelles seront, in fine, les conclusions du "conclave" ? Les partenaires sociaux encore présents (CFDT, CFTC, CFE-CGC côté syndical ; Medef et CPME côté patronal) parviendront-ils à trouver un accord pour améliorer la réforme portée par Elisabeth Borne en 2023 ? Voilà la question que tout le monde se pose. "La plupart des observateurs vous diront que ce n'est pas possible. Mais moi j'étais, je suis, et je demeure confiant. (...) Je crois qu'il existe un chemin", a déclaré jeudi soir le Premier ministre, interrogé sur le sujet lors d'un déplacement au salon des nouvelles technologies VivaTech. 

Si chemin il y a, reste à savoir quel en sera le périmètre. Une modification de l'âge de départ à la retraite, fixé à 64 ans par la réforme Borne, continue de constituer un point de blocage majeur des discussions. "On n'est pas proche d'un accord", notamment parce qu'il n'y a pas eu de "bougé sur l'âge", explique à l'AFP Yvan Ricordeau, négociateur pour la CFDT. Mais Christelle Thieffinne, la représentante de la CFE-CGC, dresse, elle, le "constat" que les 64 ans ne seront sans doute pas remis en cause au "conclave". "Ce sera toujours le sujet, une blessure, le conflit de la réforme de la retraite n'est pas clos, ça se fera dans un autre temps", juge-t-elle. 

"Tout le monde a compris que l'âge de la retraite à 64 ans, c'était acquis", a même affirmé jeudi Eric Chevée, pour la CPME. Avant d'ajouter, "enfin, non, tant qu'une négociation n'est pas finie...". En début de semaine, c'est le Medef qui disait son refus de toucher à l'âge, se disant en contrepartie prêt à des avancées en termes de pénibilité et de carrière des femmes ayant eu des enfants.

François Bayrou s'est engagé par écrit

En début d'année, François Bayrou s'était engagé. D'abord, il avait indiqué que les discussions se feraient "sans aucun totem et sans aucun tabou, pas même l’âge de la retraite". Ensuite, devant les sénateurs, le Premier ministre avait développé sa pensée, anticipant les scénarios du "conclave". "Désaccord : on en reste au texte actuel. Accord complet : on fait un texte de loi. Accord partiel : on traduit l'accord partiel dans un texte d'amélioration de notre système de retraites", avait-il indiqué. Puis, dans un courrier adressé au PS, il précisait que "si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord global", "les avancées issues des travaux" seront quand même "présentées" via un "nouveau projet de loi", à la seule condition que "l'équilibre financier [soit] maintenu".

"On se souvient de son engagement", affirme aujourd'hui le député socialiste Laurent Baumel. Quelques semaines plus tard, en mars, sur France Inter et à l'Assemblée nationale, François Bayrou réaffirmait toutefois son opposition à un retour aux 62 ans. "Je ne crois pas que qui que ce soit, qui travaille sur ce sujet, puisse prétendre qu'on peut en revenir à la retraite à 62 ans", justifiait-il alors, ajoutant être "persuadé" que les partenaires sociaux "en viendront à une conclusion de cet ordre". 

Cette semaine, Olivier Faure - tout juste réélu à la tête du Parti socialiste - a fait passer un message au Medef, l'appelant à "entendre les Français". "On ne peut pas considérer et mépriser à ce point-là à la fois ceux qui ont manifesté, ceux qui ont voté aux européennes, aux législatives et faire fi de ce qu’est le Parlement", après le vote dans l'hémicycle d'une proposition de résolution visant à abroger la réforme Borne, a déclaré le député sur RTL, n'excluant pas d'aller à la censure sur le sujet.

Un amendement sur le retour aux 62 ans

"Le fait de ne pas faire de l'âge une question bloquante est posée dans le conclave depuis plusieurs semaines", reconnaît un député du groupe "Ecologiste et Social", qui souhaite, par conséquent, que le Medef "lâche vraiment" et fasse des concessions "extrêmement significatives" sur d'autres sujets. Dans la foulée, et si "un document signé" par les partenaires sociaux est présenté à l'Assemblée nationale, cet élu liste trois scénarios auprès de LCP : adoption "pour solde de tout compte", rejet en bloc ou "on prend les avancées, mais on ne tourne pas la page" des 64 ans. Et de poursuivre : "La revendication sera toujours présente, il y aura des manifestations à venir". Tandis qu'un de ses collègues de gauche renchérit : "On prendra les avancées, mais ça ne revient pas à solder la question, ça n'éclipse pas la demande d'abrogation." 

Une députée du groupe "Les Démocrates" résumait il y a quelques jours l'équation dans laquelle se trouvait, à ses yeux, une partie de la gauche, notamment le Parti socialiste qui est, en quelque sorte par sa non-censure de janvier, à l'origine de ce "conclave" sur les retraites. "Si les partenaires sociaux font des propositions, la gauche va dire non ?", s'interrogeait-elle. La question se posera aussi, selon elle, pour les défenseurs de la réforme de 2023 : "Ça va être compliqué d'aller contre si les partenaires sociaux sortent quelque chose qui tient la route et qui entre dans la doctrine budgétaire" posée par le Premier ministre. 

On n'est pas là juste pour ratifier un accord du Medef et de la CFDT. Si on a demandé de revenir sur la loi, c'est pour reposer l'ensemble du débat sur les retraites au Parlement. Laurent Baumel (député PS)

Il faudra cependant aussi compter sur la procédure législative et la possibilité d'amender un texte. "On introduira par voie d'amendement le retour à l'âge légal de 62 ans", explique Laurent Baumel (PS) à LCP. "On n'est pas là juste pour ratifier un accord du Medef et de la CFDT. Si on a demandé à revenir sur la loi, c'est pour reposer l'ensemble du débat sur les retraites au Parlement", poursuit l'élu. Et si un tel amendement était jugé irrecevable ? "Ce sera un sujet de censure pour nous", renchérit Laurent Baumel qui, à titre personnel, y serait favorable. Cette hypothèse nécessiterait le dépôt d'une motion de censure spontanée et doit encore être débattue au sein du groupe "Socialistes".

"S'il y a un texte sur les retraites, on demandera aux députés de faire en sorte de venir avec des amendements pour abroger la réforme 2023, comme la majorité de l'Assemblée le réclame", expliquait Denis Gravouil,de la CGT, sur le plateau de LCP jeudi soir.

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La question du calendrier

A quelques jours de la fin du "conclave", plusieurs questions restent toutefois en suspens. Les partenaires sociaux entérineront-ils un accord, même partiel ? "Est-ce que tous ceux qui sont dans la salle veulent un accord ?", se demande Christelle Thieffinne, représentante de la CFE-CGC, citée par l'AFP. "Il faut se poser la question, si on est cinq à signer, c'est un vrai engagement ; si nous ne sommes que trois à signer [les syndicats], ça ne serait déjà pas du tout la même chose", estime également Pascale Coton, de la CFTC.

A contrario, si aucun accord n'est trouvé, il sera plus difficile de mettre le gouvernement Bayrou sur la sellette, et donc de le censurer, le Premier ministre qui pourra plus facilement renvoyer la responsabilité aux partenaires sociaux. 

La question du calendrier parlementaire se posera également. Quand le gouvernement soumettra-t-il aux députés les éventuelles conclusions du "conclave", alors que la session ordinaire se termine le 30 juin, et que le décret de la session extraordinaire a déjà été publié, avec la liste des textes qui y seront examinés ? Dernière interrogation : quelle sera la position des députés du groupe "Rassemblement National", dont les voix seront nécessaires à la gauche pour obtenir une majorité sur les retraites ? Début juin, lors de l'examen de la proposition de résolution du groupe "Gauche Démocrate et Républicaine", visant à abroger la réforme Borne, les députés du groupe présidé par Marine Le Pen.  avaient voté en faveur du texte (détail du scrutin à consulter ici).